Australie, réveille-toi !

Clément Lamy, membre de UN'ESSEC
5 Décembre 2013



Le potentiel économique et géostratégique de l’Australie est fantastique. Néanmoins, le « pays-continent » n’a jamais su s’imposer sur la scène internationale. L’Australie demeure une puissance régionale dénuée d’ambition. Cette léthargie latente est en passe de devenir dommageable. Australie, réveille-toi, la Chine est à deux pas…


Crédits photo -- Diliff
Crédits photo -- Diliff
En 1770, James Cook donne à la Couronne britannique une terre équivalente à trente fois le Royaume-Uni. A partir du début du XIXe siècle, celle-ci devient une colonie de peuplement. L’on y expédie de force les indésirables et les bagnards. Puis, au fil du siècle, l’Australie devient « le paradis du travailleur », et plus de cinq millions d’Européens s’y installent. D’importantes agglomérations s'érigent, le continent s’urbanise et s’industrialise progressivement. La population aborigène, estimée à 350 000 personnes avant l’arrivée des Européens, décline inexorablement, à tel point qu’aujourd’hui la population blanche représente près de 92 % de la population totale. D’un point de vue politique, l’Australie passe de colonie à dominion de l’Empire britannique en 1901, et accède enfin à l’indépendance en 1942. Le pays demeure cependant attaché au Royaume-Uni par son statut symbolique de monarchie constitutionnelle, et son adhésion au Commonwealth.


L’Australie aurait pu devenir une puissance majeure du XXIe siècle, et l’on pourrait même se risquer à affirmer qu’elle y était prédisposée. Elle profite de structures économiques, financières et politiques solides, séculaires, dignes des plus riches pays industrialisés.

Le pays est classé deuxième en terme d’indice de développement humain (IDH). Son emplacement géographique, qui à l’origine était très discriminant, est devenu une bénédiction compte tenu du déplacement de l’épicentre de la croissance mondiale de l’Atlantique vers le Pacifique. Par exemple, Sydney est à cinq heures de vol de Singapour, qui, avec Hong Kong, pourrait bien être en passe de devenir la prochaine capitale mondiale de la finance. L’île est dotée de ressources naturelles que beaucoup de nations lui envient : en l’occurrence des ressources minières comme le charbon, le nickel, l’or ou l’uranium. Plus généralement, le pays jouit d’une superficie gigantesque, tant maritime que terrestre, compte tenu de ses vingt millions d’habitants. Tous ces éléments laissaient donc penser que l’Australie était prédestinée à devenir l’une des puissances majeures de ce monde. Néanmoins, ce n’est pas le cas, ça ne l’a jamais été, et ce n’est apparemment pas près d’arriver. L’Australie est un géant qui dort…ou un géant en cage.

La perfusion états-unienne

Traditionnellement, l’Australie prend peu position sur la scène internationale de son propre fait. Bien que le pays ait participé et participe encore à de nombreuses organisations et coalitions mondiales, il s’aligne presque systématiquement sur les États-Unis. Plus encore, l’Australie, à travers son gouvernement, se qualifie elle-même de « shériff adjoint » des États-Unis dans le Pacifique. Il y a quelques mois, l’Australie a été accusée de servir d’espion pour le compte de la NSA. Dotée d’une armée respectable, le continent envoie régulièrement des troupes en Asie du Sud, dans les îles Salomon en 2003 ou dans les Tonga en 2006, après y avoir été invité par les États-Unis. Greg Sheridan, éditorialiste conservateur de The Australian, résumait en 2010 l’idéologie de la diplomatie australienne : « Seuls les États-Unis peuvent fournir le cadre de sûreté qui a maintenu la stabilité de l’Asie et assuré la sécurité de l’Australie durant les dernières décennies. Aucune autre puissance ne le peut, ni physiquement, ni politiquement, ni moralement ».

Le gouvernement australien semble être persuadé qu’il ne peut espérer qu’un rôle de figurant dans le Pacifique, où dominent des géants tels que la Chine, le Japon, les États-Unis ou la Russie. Ce complexe d’infériorité le conduit sans cesse à céder la priorité. L’Australie, qui pourrait s’affirmer en tant que puissance à part entière, s’est jusqu’à présent cantonnée à un rôle de rempart méridional au service des États-Unis.

L’Australasie, ou se relever du bon pied

Il s’agirait pour le pays de renouer avec un mouvement entamé dans les années 1970. Canberra aurait intérêt à développer une diplomatie plus autonome, prenant plus subtilement en compte les équilibres asiatiques de long terme : 60 % du commerce australien se fait aujourd’hui avec l’Asie et, en 2007, la Chine est devenue, devant le Japon, son premier partenaire économique. L’avenir de l’Australie est lié à cette réalité. Le pays doit s’adapter à l’asiatisation poussée de ses échanges. La tutelle des États-Unis n’est d’aucun secours face à l’offensive économique chinoise en Australie. Certaines tentatives d’acquisition d’entreprises australiennes menacent directement le patrimoine stratégique du pays-continent. Trois entreprises d’État chinoises ont fait savoir récemment qu’elles entendaient acheter certaines parts de l’industrie minière australienne, dont des parts du fleuron national Rio Tinto. Au total, les Chinois auraient investi en Australie 22 milliards de dollars en 2012, soit un bond de 300 % par rapport à 2011. Le gouvernement australien devrait réagir pour préserver sa souveraineté mise à mal par les ambitions chinoises.

Cette réaction passe a priori par une redéfinition de sa géostratégie globale. Les États-Unis ne protègent pas l’Australie de la guerre économique que connaissent aujourd’hui les pays du Pacifique. Le continent devrait s’investir dans les organisations qui lient les pays asiatiques, comme l’ASEAN, et tenter de constituer une zone d’intérêts communs. Il est évident que certains acteurs régionaux ont besoin de l’Australie, ne serait-ce que pour maintenir un équilibre avec la puissance chinoise : Philippines, Taïwan, Vietnam, qui resserrent tous leurs liens avec Canberra, en font partie. L’Australie a un boulevard devant elle. Dans un Pacifique sud majoritairement micro-insulaire et en voie de développement, elle demeure une puissance écrasante en termes économiques, culturels et politiques. Elle pourrait y développer une aire d’influence stable et profitable. Alors, seulement, l’Australie aurait un poids géopolitique en corrélation avec sa puissance militaire et économique, une première dans son histoire.


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