Crise mondiale : un problème de bobine ? (Partie 1)

26 Octobre 2012



Alors que l’Europe entière s’applique à mettre en œuvre des politiques de rigueur draconiennes, Paul Krugman, Prix Nobel d’économie 2008 et éditorialiste au New York Times prend le monde à contre-courant.


Crise mondiale : un problème de bobine ? (Partie 1)
« Depuis quelques années, la comparaison du développement économique de l’Europe et des Etats-Unis a des allures de course entre un éclopé et un boiteux – si vous voulez, on dirait que c’est à qui s’y prendra le plus mal pour faire face à la crise. A l’heure où j’écris ces lignes, l’Europe semble avoir une longueur d’avance dans la course au désastre, mais rien n’est joué. »

Et si tout cela – la récession, la Grèce, le chômage de masse, la peur du lendemain, etc. – n’était dû qu’à un banal problème de bobine ? Une petite pièce défaillante dans une voiture en parfait état de fonctionnement ? Il conviendrait alors, simplement, de remplacer cette bobine par une pièce neuve pour que la machine reparte de plus belle.

Reprenant la métaphore utilisée par John Maynard Keynes en son temps, Paul Krugman avance l’idée que le problème ne réside pas dans le moteur économique « plus puissant que jamais » mais dans un défaut d’organisation et de coordination. Dans son dernier ouvrage, Sortez-nous de cette crise… Maintenant !, le Prix Nobel d’économie 2008 revient sur plusieurs décennies de mauvaises mesures et d’idées fausses avec la ferme intention de démystifier la vision actuellement dominante de l’économie et de mettre à bas ses épouvantails (fuite des capitaux, hyper-inflation, faillite d’un Etat, etc.).

Les « Gens Très Sérieux » et autres tenants de l’austérité en tout genre comptent donc aux premiers rangs des cibles de Paul Krugman. Il semblerait en effet qu’ils aient délibérément jeté aux oubliettes les manuels d’économie politique hérités de la Grande Dépression pour maquiller leurs erreurs passées et mieux légitimer leurs égarements actuels.

L’éditorialiste du New York Times s’étonne d’un recentrage du débat sur la question de la dette alors que les torts causés par le chômage sont réels et bien plus terribles : ce sont des vies brisées, d’autant plus aux Etats-Unis où la perte de son emploi entraîne bien souvent celle de son assurance maladie. On notera d’ailleurs que le livre est dédié « à tous les chômeurs, qui méritent mieux ».

Ainsi, devant les adjurations des « camelots du déficit », Paul Krugman dénonce une erreur de diagnostic fondamentale. Cette erreur amène les « austériens » à préconiser des remèdes inopérants et même dangereux. Et notre professeur d’économie de rappeler les leçons de John Maynard Keynes : dans une économie déprimée, le déficit ne pose pas de problème.

L’économie n’est pas une fable morale

Abnégation, rédemption et esprit de sacrifice, Paul Krugman accuse par ailleurs les économistes dominants de jouer dans le registre de la morale – rejoignant de manière parfois étrange la rhétorique de la France de Vichy : après les souffrances et l’indispensable expiation des pêchés commis viendra le temps de la régénération et des jours meilleurs.

Mais l’économie n’est pas une fable morale ! Le comportement économique d’un Etat ne doit pas être calqué sur celui d’un ménage. Il s’agit là d’un non-sens économique. En période de crise, l’austérité aggrave la situation en déprimant un peu plus la demande domestique. A moyen terme, l’interruption des dépenses publiques (formation, infrastructures…) crée un goulot d’étranglement dans lequel viendra se perdre toute éventuelle reprise. Notre auteur soupçonne alors les gouvernants d’user d’un tel vocable pour légitimer un système socialement injuste et des mesures qui ne profitent qu’aux plus aisés.

Malgré tout, le message se veut optimiste. Que la victoire de novembre aux Etats-Unis revienne à Obama ou à Romney, la stratégie la plus payante politiquement sera celle qui donnera des résultats. A en croire Paul Krugman, les chances d’un renversement idéologique, de l’austérité à la relance, « sont bien meilleures qu’on ne le croit d’ordinaire ». Par extension, on se prend à imaginer que les gouvernements européens finiront par s’apercevoir de l’impasse austéritaire dans laquelle ils nous ont menés.

Référence de l’ouvrage : Paul Krugman (2012), Sortez-nous de cette crise… Maintenant !, Flammarion, 284 pages.

A paraître demain sur lejournalinternational.fr : la seconde partie de l'article "Crise mondiale : comment en sortir ?"

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Journaliste spécialiste des questions économiques. En savoir plus sur cet auteur