Cuba 2.0 : l'ouverture d'Internet pour plus de libertés

Ophélie Vernerey et Camille Grange
20 Juin 2013



Avoir accès à une connexion 56kb/s à Cuba, c'est possible, mais seulement depuis un mois … Le gouvernement de Raùl Castro a décidé d'ouvrir 118 « salles de navigation ». L'ouverture du réseau est une avancée encourageante même si les autorités gardent la mainmise sur les télécommunications. Le Journal International a enquêté à Cuba.


Crédito Foto --  EFE / Archivo
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Cuba, un gouvernement communiste, des cigares et maintenant … Internet ! Le gouvernement Castro, deuxième du nom, a annoncé que l'accès à l'Internet public serait élargi avec l'ouverture de 118 « salles de navigation ». Les Cubains se réjouissent de cette réforme et s'impatientent de pouvoir découvrir plus amplement le réseau internet. Malgré tout, l'accès reste payant et il faut avoir de bons moyens pour surfer sur la toile. Une heure de connexion coutera environ 3,5 € et l'accès à la plateforme de messagerie RedCubana coûtera environ 1,50 €. Sachant que le salaire moyen d'un Cubain est équivalent à 15 € par mois, l'accès à Internet reste un luxe que peu d'habitants pourront s'offrir. L'État justifie ces prix exorbitants par « un besoin de récupérer ses investissements » utilisés pour la mise en place des salles de navigation.

Des connexions Internet rarissimes

Il faut savoir qu'à Cuba, les habitants ne sont pas autorisés à avoir une connexion Internet à leur domicile. Ce qui pour nous est devenu une simple habitude quotidienne reste un privilège hors de prix sur l'île. Jusqu'à présent, seuls quelques salles publiques et quelques hôtels étaient connectés. L'accès reste très restreint hormis pour les étrangers résidant sur l'île qui ont le droit de posséder une connexion Internet à leur domicile. La condition préalable : avoir obtenu une autorisation auprès de l'Etesca, unique opérateur du pays. De plus, le paiement doit s'effectuer soit en dollar américain soit en devise étrangère. Or, les Cubains ne sont pas censés détenir de peso cubain convertible. La tâche est donc très rude.

Le Journal International a tenté d'en savoir plus sur les modes de consommation du net à Cuba. Felix Lopez (* le nom a été modifié, la personne interrogée préférant garder l'anonymat), 39 ans, réside à La Havane. À la question « comment utilisez-vous Internet ? », il répond : « Je me connecte à Internet par le compte d'un membre de ma famille. Elle est née en Espagne, donc de nationalité espagnole et vit à Cuba depuis l'âge de 4 ans. Donc techniquement, elle est reconnue comme étrangère vivant à Cuba et a accès à Internet depuis son domicile. C'est une connexion à très bas débit, 5kb/s et limitée à 30 heures par mois... Avec ça, aucune chance de pouvoir regarder une vidéo sur Youtube par exemple. »
Pour les autorités, les citoyens lambdas « n'ont pas besoin d'accéder aux pages Internet », considérées comme « ennemies » et mauvaises pour les Cubains. Auparavant, l'accès à Internet restait limité à des corps stratégiques : journalistes, médecins, universités et entreprises. La plupart des Cubains vivent dans la pauvreté au sein d'un pays très fermé. Une situation qui n'est pas sans rappeler que Cuba est l'un des 60 pays à pratiquer la censure sur Internet.

Depuis 2008 seulement, la vente d'ordinateurs personnels et de téléphones portables est devenue légale. L'accès aux mobiles est également très restreint car leur utilisation est quasi inabordable : peu de Cubains sont prêts à payer la moitié de leur salaire mensuel pour s'offrir un ligne de téléphone mobile. La mesure levée par Raul Castro a enclenché le processus de fin des restrictions concernant les outils technologiques et les biens de consommation.

À Cuba, on rationne aussi les médias

Du côté des médias, la situation est quelque peu compliquée. Comme nous le confirme Circles Robinson, rédacteur en chef du site d'information indépendant cubain, Havanatimes, qui a répondu à nos questions. « La plupart de nos rédacteurs n'ont pas d'accès internet. Nous communiquons principalement par e-mail. De mon côté, je me rends à Cuba tous les six mois et à chaque fois je me connecte dans un hôtel ». Les médias cubains ne sont pas censurés mais le coût et le débit plus que restreints ne leur permettent pas d'alimenter leur plateforme. « Le site a été lancé quand je travaillais à Cuba. Aujourd'hui je l'alimente depuis le Nicaragua. À Cuba nos journalistes n'ont pas de carte de presse. »

Felix Lopez insiste sur le fait que ces réformes ne peuvent être que bénéfiques au peuple cubain. « Je pense que ces restrictions sont un outil de censure utilisé par le gouvernement. À ce propos, je reste quand même optimiste avec les réformes qui sont en cours. La situation du pays est en train de changer. »

Le gouvernement cubain détient une dizaine de journaux nationaux dits « officiels », et d'autres provinciaux. C'est la seule presse écrite tolérée. En revanche sur la toile, tout devient possible... ou presque. Le journaliste Circles Robinson nous explique que son journal web est diffusé sur le réseau internet mondial et national (l'intranet). Bien que la rubrique « Opinion » de son site titille quelque peu le régime castriste, il ne dit pas subir de censure.

Un manque volontaire de matériel

Depuis le mardi 4 juin, les habitants ont désormais accès à tous les sites Internet depuis les 118 cybercafés, et ceci sans restrictions. Si Cuba est placé au même plan que la Chine, la Birmanie ou encore la Corée du Nord en matière de censure sur le net, c'est que le gouvernement s'appuie sur un cruel manque de matériel. La société de télécommunication Etesca, détenue par le gouvernement, propose un service internet à bas débit pour un coût exorbitant.

Fernando Ravsberg, le correspondant à Cuba pour la BBC s'est penché sur sa calculette et a trouvé bon de remarquer qu'avec un total de 334 ordinateurs mis à disposition et sachant les cybercafés ouverts 11 heures par jour, 3 700 personnes pourraient donc utiliser Internet en un jour (en supposant qu'un internaute surfe seulement une heure sur internet). Avec une base de 8 millions de potentiels internautes (soit 70% de la population), il arrive à cette conclusion : un internaute cubain ne pourrait donc se connecter à Internet qu'une fois tous les cinq ans !

De nouveaux acteurs de l'information

Des activistes de l'information cultivent leur liberté d'expression par un moyen plus ou moins toléré par les autorités. C'est le cas de la célèbre blogueuse Yoanis Sánchez, philosophe de formation reconvertie dans le journalisme. Elle tient son renom de sa présence sur la toile et sa position en faveur d'une réelle extension des libertés d'expression. En 2008, elle a été récompensée par le prix Ortega y Gasset du quotidien espagnol El Pais dans la catégorie « journalisme électronique », et ce un an après l'ouverture de son blog Generacion Y.

Cependant, ce site n'a pas de visibilité sur le réseau intranet. Alors même que cette jeune femme s'élève au rang des 100 personnes les plus influentes du monde selon le Time 2008, elle est pourtant méconnue dans son pays. Si l'on reprend la citation du président Barack Obama, le blog de Yoanis Sánchez « fournit au monde une fenêtre unique sur les réalités quotidiennes de la vie à Cuba », et en cela l'action de ces blogueurs est un appel à la prise de conscience internationale.

Felix Lopez nous affirme qu'il a connaissance de l'existence des blogueurs cubains, et qu'ils sont sur tous les fronts : pro et anti-gouvernementaux, avec leurs points de vue, et surtout leur liberté. C'est d'ailleurs pourquoi il n'a pu les lire que lorsque il était à l'étranger. En revanche, Felix dit utiliser quotidiennement le réseau intranet depuis chez lui, dans lequel il s'intéresse à l'émergence de forums comme source d'information alternative. Il cite d'ailleurs le forum du journal officiel Vanguardia : « Je trouve intéressant les débats autour de la réalité cubaine, j'y apprécie le niveau de discussion ainsi que sa contribution au développement d'une culture qui se dirige vers une plus grande liberté d'expression. Le fait qu'il soit hébergé sur le réseau intranet, le moins cher, le rend plus accessible aux Cubains et fait prendre conscience au gouvernement de la réalité des conditions de vie ».

Crédit Photo -- Camille Grange
Crédit Photo -- Camille Grange

Les réseaux sous-terrains s'organisent

La population cubaine à bel et bien un temps d'avance sur le gouvernement. Pour faire parvenir l'information non disponible, elle ne tarit pas de moyens. Les forums légaux sont des mines d'informations, de débats et offrent à tous la possibilité de s'exprimer. Autre moyen : les réseaux sous-terrains. Pour contourner le contrôle de l'État, la clé USB est un bon moyen de recevoir de l'information, mais cette fois-ci de manière intraçable, à l'inverse des portables et des courriels. Ces « cargues » (chargements contenants entre 60 et 120 gigabits), sont vendus sur le marché noir pour un coût d'environ 1 € à hauteur d'une fois par semaine. Cela représente un nouveau genre de coopérative pour les Cubains qui se regroupent entre amis ou collègues pour les acheter et se les échanger. Leurs contenus sont immensément éclectiques : on y retrouve des journaux télévisés étrangers, la rediffusion des Oscar, des matchs de foot de la Champions League, mais aussi des conférences d'économistes cubains reconnus, des cours de russe ou de français , des films, livres... . Il n'est pas rare de rencontrer des Cubains qui connaissent Youtube, Facebook et Twitter sans jamais s'être connectés à Internet.

Dans l'onglet « Liberté et technologies » de son blog, Yoanis Sánchez explique comment connecter son téléphone mobile à Twitter. C'est par un procédé complexe de messages envoyés à un numéro spécifique que vous vous connectez à votre compte Twitter. Vous pouvez alors envoyer votre tweet avec l'habituelle restriction de 140 caractères depuis votre mobile. Une manoeuvre qui s'annonce encore bien compliquée pour un coût de 75 centimes d'euro par SMS, et qui ne vous permettra pas de lire les autres tweets.

Sur l'île, les internautes s'organisent pour se rencontrer en dehors d'un canal encore trop peu accessible. Alejandro Cruz, l'administrateur du blog Cubano1erplano avait annoncé le 10 mai la deuxième édition du #Twitthab : une réunion de blogueurs et d'activistes des réseaux sociaux qui souhaitent échanger en dehors de la sphère virtuelle.

À un moment ou les printemps révolutionnaires bourgeonnent, fortement alimentés par Internet et notamment par les réseaux sociaux, c'est bien par le web, à Cuba, qu'une extension des libertés d'expression est en marche.

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