Espagne, « Crisis? What Crisis? »

Tribune libre

Nieves Meijide, traduit par Mathilde Mossard
20 Avril 2013



C’était en 2007, j’habitais dans un pays où l’on se croyait riche. Mes amis quittaient le lycée pour s’enrichir sur les chantiers. L’excédent budgétaire était historique et le chômage enregistrait des chiffres jamais atteints sous la démocratie espagnole avec seulement 7,95 % de la population active sans emploi. On se pensait intouchable.


Photo : Pablo Blazquez Dominguez / Getty Images
Photo : Pablo Blazquez Dominguez / Getty Images
Le PSOE (Partido Socialista e Obrero Español) remportait les élections, le boom économique ne faiblissait pas. En bref, l’Espagne avait le vent en poupe. Cependant, au début 2008, les prémices de la crise alimentaient les plus folles spéculations. Depuis plusieurs mois, des États-Unis à l’Asie, les bourses du monde s’effondraient.

Pendant ce temps en Espagne, deux grands groupes de construction immobilière, Astroc et Llaneros, vécurent la plus grande faillite jamais connue, à l’origine d’un krach boursier historique en Espagne. Nous voilà avertis, la bulle immobilière allait s’effondrer.

On était alors fin 2007, à peine quelques mois avant les élections générales (on appelle les élections générales celle qui élisent le gouvernement central espagnol), on nous répétait que tout allait bien, que les temps étaient glorieux.

Déjà, on nous mentait. Le 9 janvier 2008, lors d’une conférence de presse, comme l’indique le journal LibertDigital, Zapatero — alors candidat à sa réélection — qualifia d’« antipatriotes » ceux qui dénonçaient le risque d’une crise et pointaient du doigt la détérioration économique du pays.

Face à l’évidence de la crise, la seule chose que le président trouva à dire, c’est que nous nous trouvions dans un processus de ralentissement. Nous étions au début de la crise, et nos dirigeants, loin de s’en inquiéter, l’esquivaient, ayant même l’impudence de faire des promesses telles que la déduction fiscale de 400 euros pour chaque salarié, chaque retraité et chaque travailleur indépendant. En mars 2008, Zapatero est réélu comme président du gouvernement. On continue de nier la crise.

La question qu’aujourd’hui se posent tous les Espagnols, c’est de comprendre comment l’Espagne peut se trouver dans une telle situation. Qu’est-ce qui l’a amenée à supporter aussi mal la crise ? Qui sont les coupables ?

En juillet 2008, l’émission de critique humoristique CQC, diffusée sur une grande chaine de télévision espagnole, offra à Zapatero le disque du célèbre groupe de rock britannique Supertramp intitulée : « Crisis? What Crisis? ».

Cet évènement fut retransmis sur toute la toile médiatique espagnole. En moins de quatre mois, le gouvernement avait perdu toute crédibilité et tout le respect de son pays. Il restait encore quatre années de mandat. Quatre années de gestion de crise.

S’en suivirent des élections générales et législatives anticipées dont le PP (Parti Populaire), parti espagnol de droite, est sorti vainqueur avec la majorité absolue. Par la même, celui-ci remporta toutes les régions espagnoles. Ainsi le pays se teint de bleu. Mais rien ne change : la crise continue, on perpétue le manque de transparence et la non-tenue des promesses également.

Peut-être est-ce grâce à Supertramp que, finalement, ce même mois de juillet 2008, lors d’une émission de la chaine télévisée Antena 3, Zapatero prononce pour la première fois le mot « crise », « crise, comme vous voulez tous m’entendre dire ». Ça allait au-delà de ce qu’on voulait. Ce qui prime c’est l’honnêteté et le respect.

L’Espagne était en crise. L’Espagne est en crise.

Le chômage est la plus lourde conséquence de la crise espagnole. Les chiffres terrifiants : partant de 7,95 % en 2007, il a atteint 28 % de la population active selon les estimations de l’IEE (l’Institut des Études économiques) en 2013, sans oublier que plus de 50 % des actifs de moins de 25 ans restent sans emploi. Pour nous les jeunes trouver un travail c’est mission impossible.

Les jeunes universitaires, loin d’être optimistes concernant leur avenir, terminent leurs études terrorisées. Il n’y a ni travail, ni places aux concours. Les masters sont saturés, étant donné qu’il n’y a rien de mieux à faire que de continuer à étudier. On se bat pour avoir un job de serveur, les surdiplômés sont de partout. Nous n’avons aucune issue, nous n’avons pas même de futur dans ce pays. Nous les jeunes, nous pouvons prolonger nos études, ou nous pouvons aussi partir construire notre vie ailleurs. Nous n’avons pas d’hypothèque, pas d’enfant, comme c’est le cas de tous ces chômeurs qui ont perdu leur emploi à cinquante ans et qui ne peuvent plus décrocher un nouveau travail. Le Conseil du Pouvoir judiciaire fournit le chiffre de 185 140 renvois exécutés depuis l’année 2007. Ce n’est pas non plus nous qui avons travaillé toute notre vie, payant à l’État, pour qu’ensuite il entretienne notre vieillesse ; non, nous ne sommes pas ces retraités qui aujourd’hui n’ont pas toute leur retraite, et qui ont à peine les moyens de vivre. Nous les jeunes, nous sommes les chanceux.

Et ce n’est pas uniquement le manque d’emplois, ou le fait qu’il est plus de chômeurs et que dans les familles l’argent manque. Non, en plus de cela il y a la hausse de l’IRPF (l’équivalant de l’impôt sur le revenu), il y a des coupes dans les salaires, les fonctionnaires gagnent 5 % de moins, avec gel des salaires, moins de vacances et davantage d’heures de travail. Mais ça ne fait rien parce que ce sont les fonctionnaires et parce qu’ils ne perdront pas leurs postes, alors des réductions leur sont faites sans craindre des scandales.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, l’IVA (l’équivalant de la TVA) sera augmentée, donnant lieu à une forte baisse de la consommation et à la fermeture de nombreuses entreprises. Il y a de moins en moins d’argent, et le commerce reste figé. Mariano Rajoy, actuel chef de l’État espagnol, est responsable de la dernière hausse de l’IVA, contrariant ainsi les promesses faites concernant les impôts. Ils nous mentent et il n’y en a aucun en qui l’on peut croire.

Le coût de la dette, la dette elle-même, et les plans de sauvetages sont devenus non seulement la seule actualité des journaux télévisés, mais aussi le quotidien de chacun. Il n’y a pas d’issue. Tout s’effondre. Nous ne savons pas pourquoi.

On se demande où est l’argent, où est resté tout cet argent de 2007, pourquoi la classe moyenne et les classes défavorisées sont les seuls à en pâtir, pourquoi les riches seront toujours riches, pourquoi il n’y a aucune transparence, pourquoi nous ne savons pas ce qui se passe dans notre pays, et une fois de plus, qui sont les responsables ?

Pour comprendre pourquoi la crise a dévasté l’Espagne, nous devons revenir à ces trois principales causes que sont : la bulle immobilière, les mesures inadéquates émanant du gouvernement et la corruption.

L’éclatement de la bulle immobilière était évident. Combien de maisons chaque habitant peut-il posséder ? La crise mondiale n’a fait qu’anticiper cette explosion. Cette bulle n’existait pas qu’en Espagne, mais le problème a été que l’économie de notre pays s’est structurée autour du secteur de la construction en orientant ses bases vers ce segment d’activité — ce qui n’était pas durable. Donc, quand la bulle a éclaté, nous nous sommes retrouvés sur le carreau.

L’argent dont se servait le commerce n’existait pas, il n’y avait que de la spéculation, beaucoup d’offres au prix fort et une demande qui se raréfiait. Quand le marché de l’immobilier s’est finalement effondré, le chômage augmenta provoquant l’instabilité des institutions financières. Cet effondrement aggrava la crise en profondeur ce qui, bientôt, asphyxia l’Espagne.

Les mesures prises par le gouvernement Zapatero ainsi que le mandat de Mariano Rajoy qui a suivi n’ont pas non plus favorisé une rapide résolution de la crise. Les premières mesures prises par Zapatero, appelées mesures d’impact, se concentraient sur le gaspillage de l’argent public au lieu de s’atteler à la création d’emploi. Lutter contre le chômage doit être la priorité du gouvernement puisque, de cette façon, l’argent est en mouvement. Cependant, les mesures prises par les deux gouvernements n’ont pas visé l’investissement dans les entreprises qui génèrent de l’argent, une fois créées, mais bien les coupes budgétaires. C’est comme ça que le pays s’est paralysé, que l’argent a arrêté, et que la crise persiste. Ce qui est sûr c’est que pour affronter la dette extérieure il faut rassembler de l’argent, mais aussi et même plus important, il faut le créer.

Or si vraiment nous voulons savoir où est passé l’argent de cette Espagne si riche, nous devons regarder les politiciens dans les yeux, les fustiger, leur demander des comptes, leur dire que nous en avons assez de tant de corruption. Le cas Malaya (671 millions d’euros blanchis dans la Municipalité de Marbella), le cas Gürtel (120 millions d’euros au sein du Parti Populaire et qui est encore d’actualité depuis qu’on a découvert une fortune de 38 millions d’euros dans un compte en Suisse à l’un des accusés, Bárcenas, ancien trésorier du PP) ; le cas Noós, Iñaki Udargarín (La Maison Royale, détournement de fonds publics pour son propre bénéfice).

Une longue liste d’actes de corruption marque la politique espagnole, n’indiquant que ceux dont on sait, et non ceux qui continuent de détourner l’argent de coffres de l’État sans être accusés. C’est certain, la malhonnêteté est omniprésente dans l’idiosyncrasie espagnole, mais la coupe est pleine de tous ces voyous. Marre de cette politique d’effrontés.

Nos dirigeants, ceux qui réclament notre confiance, et ceux en qui nous croyons, sont aussi ceux qui nous volent. Ce sont les mêmes qui sont responsables, coupables, de la mauvaise passe que vit l’Espagne. L’argent s’est envolé pour la Suisse, ici il ne nous reste plus rien.

Et nous, on se demande, comment ceux qui nous ont mis dans la crise vont nous en sortir ? Comment allons-nous les croire ?

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