Eurovision : Emmelie De Forest l'emporte, Ognevich se confie

19 Mai 2013



La 58ème édition de l’Eurovision vient à peine de s’achever, consacrant la victoire de la concurrente danoise, Emmelie De Forest. Le Journal International a rencontré la concurrente ukrainienne, troisième sur le podium. Elle nous livre ses impressions sur ce concours faisant la part belle au multiculturalisme.


Zlata Ognevich troisième de l'Eurovision 2013 pour l'Ukraine
Zlata Ognevich troisième de l'Eurovision 2013 pour l'Ukraine
En plus de cinquante ans d’existence, connaissez-vous le nom d’au moins un gagnant de l’Eurovision ? Ces chanteurs d’un soir, méconnus du monde, mais célèbres dans leurs pays d’origine, se retrouvent sous le feu des projecteurs pendant plus de trois heures de spectacle.
 
Le Journal International a eu le plaisir de recueillir la vision de Zlata Ognevich chanteuse ukrainienne et troisième du concours. Nous avons également demandé l’avis de nos confrères de la Rédaction de www.eurovision-fr.net, présents à Malmö et spécialistes du sujet, en la personne de Franck Thomas.

La musique fédératrice de cette union

La compétition est alléchante : 43 participants pour seulement 25 places en finale, tout en sachant que les « Big five » - composés de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni, les financeurs majoritaires de la compétition-ont leur place en finale assurée. À cela s’ajoute le pays vainqueur de l’édition précédente, la Suède, pays hôte des festivités.

L’Eurovision est le seul show européen regroupant autant de chanteurs venus des quatre coins du « continent ». Il s’agit de l’un des évènements les plus regardés dans le monde. L’Europe est un bien grand mot pour délimiter les concurrents ; il s’agit de l’Europe dans sa définition géographique (s’il en existe une), sans oublier la présence d’Israël ou de la Turquie, participants historiques.

Le concours tend à renforcer le multiculturalisme européen. La magie de ce gala musical réside dans le voyage qu’il nous offre, au travers d’univers traditionnels méconnus du grand public, tels que les chants folkloriques arméniens, le rock albanais, en passant par le rap turc ou l’électro allemand.

Ce concours a aussi vocation à être un tremplin pour bon nombre de chanteurs. Le Luxembourg décide, en 1965, de confier sa représentation à une française, France Gall, victorieuse du concours avec sa célèbre chanson, Poupée de Cire, Poupée de Son. En 1974, la Suède présente à l’Europe un groupe méconnu du grand public, ABBA. Le titre Waterloo a eu un succès retentissant, le groupe devient l’icône de la réussite de l’Eurovision. La Suisse, en 1988, opte pour une jeune Canadienne, Céline Dion. Sa victoire l’entraîne dans un tourbillon de succès.

Un engouement national

Franck Thomas de la Rédaction de www.eurovision-fr.net est unanime à propos de l’engouement que suscite l’Eurovision dans les pays scandinaves et les pays de l’Est : « La passion suscitée a des origines différentes selon le type de pays. Pour les pays scandinaves, et plus généralement germaniques, l’Eurovision est appréciée comme un divertissement familial. On vient aux shows avec femmes et enfants. Dans les pays de l’Est, l’Eurovision est appréhendé d’un point de vue plus politique. Il est vu comme une vitrine. C’est un moyen de faire parler de son pays, rarement médiatisé en Occident. De plus, le sentiment national est très fort dans ces pays. Ils ont du mal à comprendre le fait de ne pas pouvoir voter pour son propre pays. »

Pour Zlata Ognevich, « l’Eurovision est quelque chose de très important en Ukraine. Pour tous les artistes, il s’agit d’un honneur de représenter son pays dans cette compétition. On m’a demandé à plusieurs reprises, que ce soit mes fans en Ukraine ou les médias, quand est-ce que je finirai par aller à l’Eurovision. Ma troisième tentative fut la bonne. Pour chaque artiste, ce concours est une merveilleuse exposition médiatique. Nous exploitons au maximum cette chance qui se présente rarement dans une carrière. » En Ukraine et dans de nombreux pays, le choix du représentant se fait par le biais d’un concours interne, sollicitant le vote du public.

Lorsque l’on évoque le fait que les cinq plus gros financeurs du concours soient qualifiés d’office en finale, Zlata répond en toute franchise : « ce règlement fonctionne bien depuis des années, je ne voit pas de problème au fait que les "Big five" aillent directement en final ». Sans leur financement, ce concours ne pourrait exister. Ces pays, entrés il y a une dizaine d’années, sont reconnaissants envers les fondateurs du concours.

L’anglais, langue universelle

À ses débuts, le règlement de l’Eurovision était clair sur le sujet du choix de la langue d’interprétation de la chanson. En 1966, il est imposé au concourant de chanter dans l’une des langues nationales. Depuis 1999, le choix de la langue est devenu libre. Malheureusement, cette nouvelle règle a fait de l’Eurovision, en majorité, le concours de la chanson anglaise. Cette évolution a permis aux pays scandinaves de remporter le concours. Ils estimaient que leur langue avait une sonorité spécifique qui n’est pas destinée à la chanson.

Quand on aborde le thème de l’anglicisation du concours, Franck Thomas établit un constat simple : « L’Eurovision n’est pas un concours de chansons folkloriques, mais de chansons populaires, c’est-à-dire qui sont faites pour plaire au peuple, au public. L’Eurovision n’a jamais eu la prétention d’amener du folklore, mais d’ouvrir sa scène à des chansons qu’on pourrait entendre à la radio, par exemple. Le style des chansons peut être influencé par la culture du pays qui la présente, c’est préférable d’ailleurs. Les pays cherchent à ne pas se mettre en difficulté pour une qualification en finale et si possible d’y obtenir un bon classement. La liberté de la langue a été réinstaurée en 1999, car l’Irlande avait trusté les victoires des années 90 (NB : 4 victoires sur 5 années), ce pays étant bien sûr anglophone. Afin d’équilibrer les chances entre les différents pays, on a permis aux différents participants de choisir leur langue d’interprétation.
Tous les ans, plusieurs pays présentent leurs chansons dans leurs langues nationales, celles-ci n’ont donc pas complètement disparu de l’Eurovision.
»

Zlata nous explique son choix de l’anglais et non de l’ukrainien pour sa chanson : « La version originale de la chanson était écrite dans une langue imaginaire le Nakatonga, que j’ai créée moi-même. Mais pour faciliter la performance et suivant les règles du concours, nous avons dû écrire des paroles en anglais. Elles auraient pu être écrites en ukrainien, mais je souhaite que ma chanson et le message qu’elle dégage soient compris du plus grand nombre des spectateurs. Ainsi, Gravity n’appartient pas à une culture spécifique. Elle est au-dessus de n’importe quelle culture, tout le monde peut s’identifier dans cette chanson. Les chœurs ajoutent des notes folkloriques à la composition musicale qui se mêle à la magie du son de la chanson. Je pense que c’est ce qui fait que la chanson se différencie des autres. J’espère que ma chanson pourra envahir le marché du "Big Five" après l’Eurovision. Pour l’instant, je savoure chaque instant, je suis très heureuse, car beaucoup de gens aiment cette chanson. »

Des enjeux financiers

Chaque pays participant joue son avenir culturel. Les pays de l’Est, grands gagnants depuis une dizaine d’années, ont profité de l’exposition médiatique de ce concours pour en faire un tremplin de leur tourisme. Le pays hôte doit avoir la lourde tâche de pouvoir accueillir tous les pays et les spectateurs comme pour des Jeux olympiques ou un Euro de football. Des dizaines de millions d’euros vont être dépensés.

Cette année, la Suède, grand pays adepte de l’Eurovision, a dépensé le plus petit budget avec seulement vingt-millions de dollars. Franck Thomas justifie cette décision : « En fait, ce n’est pas spécifiquement la Télévision suédoise qui a fait ces choix de réduction de budget, mais c’est une tendance souhaitée par l’UER (Union européenne de Radio-Télévision) depuis l’année dernière. En 2012, la Télévision azérie et le gouvernement local souhaitaient avoir une organisation grandiose. En Suède, on ne souhaitait pas rester sur le même type de budget, les demandes de l’UER ont donc été respectées. La scène est tout aussi grande et spectaculaire que les autres années, la salle est certes plus petite, mais la production télévisée est tout aussi spectaculaire. »

La longévité de l’Eurovision est remise en cause par la crise, de nombreux pays ne pourront accueillir cet évènement dans leur pays. Le modèle de financement devra donc évoluer. L’hypothèse de construire un complexe unique pour chaque année n’est pas exclue. Ce procédé stopperait le changement de pays hôte, ce qui abaisserait le tourisme dans les pays européens. Le Qatar ou la Russie pourraient constituer une solution financière à ce problème.
De nombreux pays ont dû abandonner l’idée de participer à cet évènement par peur de ne pouvoir subvenir au coût engendré par la mise en place d’une délégation, mais surtout le risque de gagner. Ainsi la Bosnie-Herzégovine, la Pologne, le Portugal ou la Slovaquie ne seront pas de la fête.

Franck Thomas définit très simplement la mise en place du financement actuel : « Les informations sur les droits de participation ne sont pas publiées, donc nous n’y avons pas accès. Toutefois de ce que nous savons, chaque pays paye un droit de participation et des droits de diffusion (NB : cette dernière est obligatoire). Ces droits sont calculés par l’Union Européenne de Radio-Télévision. Ce calcul inclue plusieurs critères, dont la richesse du pays et le nombre de téléspectateurs potentiels. Suite à ces calculs, les 5 pays qui ont le montant le plus élevé (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni) sont considérés comme appartenant au “Big 5” et sont qualifiés d’office en finale. Ceci pour garantir un revenu minimum pour l’organisation de l’Eurovision. »

Lorsque l’on évoque la mise en place d’une entraide, ce dernier n’est pas d’accord : « Beaucoup de télévisions doivent déjà courir après des sponsors pour payer leur participation (coût de la sélection de la chanson, plus les droits pour participer, ainsi que les voyage et séjour de la délégation, plus les frais de marketing autour de la chanson, etc.), si elles doivent en plus payer une partie des droits de plusieurs autres pays, on ne s’en sortirait pas. Concernant les retraits cette année, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une période de crise en Europe et que plusieurs gouvernements ont réduit les budgets de leurs télévisions nationales. Pour le retrait de la Turquie, ce n’est pas lié à des motifs financiers, mais la Télévision turque souhaite un changement dans le règlement concernant les votes et la suppression du Big five. »

Grâce à sa victoire, Zlata est confiante dans la capacité financière de son pays à devenir le pays hôte : « l’Ukraine a la capacité d’accueillir ce concours. Il ne faut pas oublier que nous avons accueilli l’Euro de football l’an passé, avec la Pologne. De même cette année, nous accueillons l’Eurovision junior (créé depuis 2003, les pays hôte sont choisis suivant des appels d’offres, le plus offrant remportant le privilège d’accueillir ce concours). En 2005, nous avions déjà accueilli ce show, le NNTU (National Television Company of Ukraine) avait organisé avec brio le concours. »

Décrié à l'Ouest, véritable tremplin à l'Est, l'Eurovision cristallise sur la scène médiatique le multiculturanisme européen et les différentes manières d'appréhender le concept si vague de l'Europe aux quatre coins du continent. Les Jeux Olympiques de la Grèce antique auraient-ils trouvé leur héritier ?


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Jérémy BICHON
Rédacteur (étudiant en licence de science politique). Jeune aspirant au développement du... En savoir plus sur cet auteur