Festival de Jazz de Montreux : l’agonie du jazz ?

William Mouelle Makolle
3 Juillet 2013



Du 5 au 20 juillet se tiendra le 47ème Montreux Jazz Festival en Suisse. Au menu : Quincy Jones et Bobby Womack, mais également Lianne LaHavas. La présence de rappeurs et autres DJ reste un mystère. Le jazz est-il mort ? Rencontre avec Franz Hellmüller et Leonzio Cherubini, professeurs de jazz au Conservatoire de Montreux.


Georges Benson au Montreux Jazz Festival en 2009 / Crédit Photo -- MaxPPP
Georges Benson au Montreux Jazz Festival en 2009 / Crédit Photo -- MaxPPP
Situé au bord du Lac Léman, Montreux est célèbre pour ses châteaux, son Festival du Rire et sa statue de Freddie Mercury, mais surtout pour son Festival de Jazz, créé par feu Claude Nobs en 1967. L’intention était là : créer un événement international visant à promouvoir des légendes du jazz et des vedettes montantes. Ainsi, admirer les têtes d’affiche qui feront les beaux jours du festival cette année, c’est un peu comme s’émerveiller devant la gloire du Tout-Puissant : Paolo Conte, Bobby Womack, Joe Cocker, Bob James, Charles Bradley, Quincy Jones, Charles Lloyd…

Ensuite, il y a les éclectiques, oscillants d’un univers à l’autre, tels Ben Harper, Sting ou Prince. Puis viennent les révélations montantes ô combien talentueuses : Lianne LaHavas, Cat Power, Fanny Leeb (fille d’un certain Michel Leeb) ou Alex Hepburn. C’est jazz, blues, soul. Cependant, il y a aussi les autres, majoritairement géniaux, mais planant à mille lieues du jazz. On voyage alors de l’indie-folk de Woodkid, de Ben Howard et des Lumineers, au R’N’B mielleux de Kenrick Lamar, en passant par le punk rock de Greenday et le rap d’IAM et de Wyclef Jean. Et n’oublions pas Zy-Amm, car dans le zouk, il y a quand même des trompettes.

À Montreux, c'est un peu Cannes aussi

En somme, le Montreux Jazz Festival est un peu le résultat de l’équation Glastonbury-Sacramento Jazz Jubilee.  Ici, Dominique Strauss-Kahn ne côtoie pas Leonardo DiCaprio mais Sugar Blue se coltine Digitalism tandis que George Benson se trouve obligé de supporter l’assommante musique électro de Yan Wagner. C’est ça le Montreux Jazz Festival : du « commercial » clament en chœur Cherubini et Hellmüller. Certes, Claude Nobs rapportait l’année dernière dans un entretien accordé au site Students avoir voulu modifier le nom du festival pour « Montreux International Festival ». C’était en 1978, nous voilà en 2013.

Un festival de jazz est un festival de jazz. Point. Et on s’indigne de voir que le site internet du festival a besoin de préciser le genre musical des artistes qu’il promeut. Qu’il est affligeant de voir que le jazz ne peut plus exister par lui-même ! Leonzio Cherubini s’insurge : « A-t-on déjà vu un festival de musique baroque sans musique baroque, un festival de musique classique sans classique, un festival rock sans rock ? » Et de fait, lorsque Beyoncé a repris en 2008 –à la sauce Queen B- l’Ave Maria de Franz Schubert, l’a-t-on invitée à pousser la chansonnette au Festival de Bayreuth en Allemagne ? Non. «Par contre, des festivals de jazz sans jazz, il y en a partout », poursuit Cherubini. Il y a « un manque d’honnêteté […] et une ignorance artistique des plus cyniques, avec le soutien des communautés locales ! », termine-t-il.

Si Franz Hellmüller contredit les propos précédents en ajoutant que les influences des musiciens jazz sont diverses : « classique, rock, hip-hop, rap » et qu’il n’y a pas de « limites », il finit toutefois en alléguant que le jazz comme il l’entend « est devenu rare », que « ce n’est pas le jazz d’après [sa] définition ».

Le genre en lui-même est-il mort ?

Doit-on définitivement dire adieu à Coltrane, Hartman et Armstrong, et par là-même applaudir à tout rompre le défi d’un Jay-Z signant la bande-son aux accents jazzy d’un Gatsby le Magnifique ? Là encore, les avis sont partagés. Hellmüller soutient que « le jazz ne se meurt pas » et qu’il est « probablement la musique qui change le plus rapidement et qui assimile toute sorte de genre » en parvenant à rester « très vivante ». Cherubini déplore une utilisation « à tout va du terme jazz, ce qui va à l’encontre du genre même ». Le jazz aurait « perdu de sa vivacité pour faire place à une musique trop consensuelle [….], une musiquette d’agrément ». Mais on ne peut pas plaire à tout le monde.

Pour les amateurs d’un jazz épuré aspirant à « toucher, divertir et rendre les gens plus méditatifs », le Montreux Jazz Festival n’est certainement pas le lieu idéal. Mais si le genre n’est pas l’apanage de l’événement, crierons-nous haro sur le baudet si vite ? Pas tout à fait. Clark Terry ne disait-il pas « imitate, assimilate and innovate » ?

Tout n’est pas si noir sous le soleil de Montreux. On le sait, Quincy Jones adore le rap. Marcus Miller est un dieu du Jazz Fusion – mélange de jazz, de funk et de rock. Et Zakir Hussain allie jazz et musique indienne. Leur réputation n’est plus à faire. « Il y a beaucoup de formes de jazz. Toutes ne sont pas populaires de la même manière », reprend Hellmüller. Certains devront toutefois justifier leur présence par un concert exceptionnel.

Reste à savoir si James Morrison se sentira à son aise parmi les nombreuses légendes du jazz. Même si Cherubini sait d’avance qu’il n’y aura « rien de nouveau sous le soleil », peut-être découvrirons-nous de vrais nouveaux talents. Comme dit Hellmüller, « ça dépend un peu de la programmation de l’année ».
Alors, à quand un duo P.Diddy-Stevie Wonder ?

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