Génocides : « plus jamais » ?

Joanna Sakalian
24 Avril 2015



Malgré la commémoration du 100ème anniversaire du génocide arménien qui se profile, le monde n'a toujours pas tiré leçon des conséquences de l’une des formes les plus brutales de crime contre l’humanité.


Mur peint par des étudiants pour commémorer le génocide rwandais - Crédit AP
Mur peint par des étudiants pour commémorer le génocide rwandais - Crédit AP
Le monde a été marqué par la fin d’un 20ème siècle terriblement sanglant, avec des tentatives d’extermination de masse en Asie mineure et au Moyen-Orient, en Asie du sud-est et même au seuil de l’Union européenne : les Arméniens, les Assyriens et les Grecs, puis, plus loin, les Bosniens en ex-Yougoslavie et les Tutsis au Rwanda. Des cours internationales ont été constituées pour prendre en charge ces crimes particuliers, afin d’assurer que cela n’arrive plus jamais. Est-ce suffisant pour garantir que le génocide appartient au passé ?

Alors qu’à ce jour les massacres continuent dans la région du Darfour, que les minorités de la Turquie moderne sont toujours maltraitées et que les persécutions des Roms demeurent bien actuelles en Europe, la réponse semble malheureusement négative. De façon inquiétante, les crimes impunis du siècle passé ont autorisé d’autres à croire qu’ils pouvaient perpétrer le crime contre l’humanité sans répercussion. Au risque de reprendre une phrase déjà bien trop souvent citée, Hitler aurait dit, le 22 août 1939 : « Qui se souvient encore de l’extermination des Arméniens ? »

Des crimes impunis – une menace à la sécurité régionale

Le fait que le premier génocide du 20ème siècle demeure impuni et inexpliqué constitue non seulement une menace pour la sécurité régionale dans les territoires concernés, mais également un encouragement à une politique de mascarade. Le conflit yougoslave rappelle clairement ce qui arrive lorsque ce genre de politique d’écran de fumée se produit – les Croates nièrent longtemps les atrocités perpétrées contre les Serbes durant les Guerres des Balkans, ce qui créa un environnement hostile qui atteint son apogée dans les années 90. En comparaison, l’exemple allemand montre que la reconnaissance et les excuses pour les crimes passés peuvent mener à des relations diplomatiques saines avec les pays voisins et les anciennes victimes.  

Pour ce qui est de la Turquie, l’instabilité actuelle de la région rend le déni des tentatives passées d’extermination de masse d’autant plus inquiétant. Pourtant, de nos jours, des gens sont emprisonnés ou exilés pour avoir dénoncé les crimes passés du pays. Dénigrer Atatürk est sévèrement puni, et le dossier de la Turquie est loin d’être transparent en ce qui concerne le traitement des minorités aujourd’hui. Plus choquant encore : les Hutus du Rwanda n’ont pas dû assumer leur responsabilité concernant le massacre brutal des Tutsis qu’ils ont perpétré. Ils sont retournés vivre à leurs côtés,  les Tutsis  ayant donc parfois comme voisin le meurtrier d’un membre de leur famille ou d’un ami. Le Rwanda est un dur rappel de l’absurdité des frontières établies par les colonies, et une preuve évidente que la création d’un nouvel État (ou de plusieurs) ne se produit pas nécessairement à la suite d'un génocide. Ce n’est pas non plus la solution aux conflits ethniques, comme le montre la violence qui persiste malgré la division du Soudan.

Mais fermer les yeux et ignorer les crimes contre l’humanité n'est pas une pratique réservée au Tiers-monde ou aux régions moins développées économiquement. Le traitement actuel des Roms en Europe (ghettoïsation, persécutions parfois violentes), qui ressemble étrangement à celui réservé aux juifs avant l’Holocauste, ramène à la triste réalité que nous n’avons finalement pas vraiment tiré leçon du passé. 

L’échec de la Convention

En ce qui concerne le manquement à la prévention du génocide, la faute revient finalement à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et à sa tentative échouée de donner réellement sens aux mots « plus jamais ». La faille de la Convention vient d’abord de sa terminologie. La Convention déclare qu’il est de la responsabilité des États de reconnaître les génocides et de prévenir leur perpétration. Cette législation ambiguë ne spécifie pas qui devrait punir ces gouvernements ou ce que prévenir un génocide implique. Cependant, l’interprétation qu’en font la plupart des États est que cela suppose une intervention. La définition même de génocide n’est pas sans imperfection ni faille. Selon Genocide Watch, le génocide est « l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe racial, ethnique, religieux ou national ». Outre la confusion concernant ce qui peut être qualifié de génocide, la réticence de la communauté internationale à intervenir a souvent « retardé » la qualification de conflits comme étant des génocides, par exemple au Darfour. Plus alarmant encore, le manque d’intervention internationale dans les cas où un consensus a été atteint concernant les conflits reconnus comme génocides. En conséquence, on trouve davantage de cas similaires à celui du Rwanda, où la communauté internationale regarde de loin le massacre perpétué.

Une nouvelle aube ?

Le 9 juillet 2011, lorsque le Soudan du Sud a officiellement proclamé son indépendance, Barack Obama a déclaré : « Aujourd’hui est un rappel qu’après les temps noirs de la guerre, la lumière d’une nouvelle aube est possible ». Si cette nouvelle aube est possible, elle n’est pas encore arrivée. 

La guerre fait toujours rage au Soudan du Sud, et chaque fois qu’une épuration ethnique demeure impunie, les mots « plus jamais » perdent un peu plus leur sens. Le rapport publié en 2012 par Genocide Watch identifie neuf pays dont les habitants courent le risque d’être exterminés, et onze pays qui sont au niveau de « préparation » d’un génocide potentiel. Ces chiffres ne sont pas surprenants si l’on considère le degré d’impunité dont des instigateurs de génocide tels que le Pol Pot et Idi Amin Dada ont profité. Il n’est pas non plus surprenant que beaucoup soient dans l'ignorance totale face à l’existence de tels crimes, même quand ceux-ci font partie de leur propre histoire. Atatürk, par exemple, est une figure très respectée et admirée en Turquie. Mao Zedong, quant à lui, bénéficie toujours d’un statut divin en Chine, malgré le fait qu’il soit considéré comme l’un des plus grands meurtriers du 20ème siècle.

Genocide Watch nous rappelle aussi que le déni fait partie des indicateurs les plus sûrs de futurs massacres génocidaires. Sachant cela, il est difficile d’envisager qu’aucun génocide ne se produise plus et que ce terrible phénomène disparaisse complètement au cours de la prochaine décennie ou même du prochain siècle.

Screamers est un documentaire réalisé en collaboration avec le groupe System Of A Down retraçant l'histoire des génocides dans l'Histoire moderne, et plus particulièrement l'histoire et l'impact du génocide arménien. 


 

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