Inde : le personnage Modi (2/2)

Olga Benne
3 Août 2015



Du 7 avril au 12 mai 2014, l’Inde organisait la plus grande élection démocratique de l’Histoire, avec un corps électoral d’environ 814 millions d’électeurs. Le 26 mai, le nationaliste hindou Narendra Modi, candidat du Bharatiya Janata Party (BJP) –« le parti du peuple indien »-, remportait une large victoire et devenait Premier ministre. Ces dernières semaines, l’heure était aux bilans. Retour.


Crédit : REUTERS
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Narendra Modi n’a pas pris jusqu’à présent les décisions hindou-nationalistes pour lesquelles il était attendu. Dans un discours du 15 août 2014 par exemple, il insistait sur la nécessité de réduire « les tensions communautaires » et de se débarrasser « du poison du castéisme, du communalisme, du régionalisme et de la discrimination sur des bases sociales et économiques ».

Mais si lui-même n’a pas engagé les mesures visant à « hindouiser » la vie publique, le BJP s’en est chargé à l’échelle des Etats régionaux. C’est ainsi par exemple qu’au mois de mars dernier, la vente ou la possession de bœuf est devenue passible de cinq ans de prison dans l’Etat du Maharastra, dont Mumbai est la capitale. Cette décision a été annoncée comme une simple mesure de protection des animaux, mais peut difficilement être détachée du fait religieux – la vache étant un animal sacré pour les hindous. Sans parler des milliers d’emplois qui seront perdus, cette réforme a été perçue par beaucoup comme une attaque envers les minorités ; le marché de viande bovine étant largement contrôlé par les musulmans.

Parallèlement, une certaine tendance à la radicalisation se dénoterait au sein de la société indienne hindoue. L’Inde a connu une flambée de violences inter-religieuses ces derniers mois : attaques contre des églises, viol d’une none, passage à tabacs d’Adivasis (populations tribales), etc. Mais là où l’on pourrait attendre plus de décisions, ou du moins des réactions de condamnation de la part du gouvernement, rien n’a été fait. Au contraire même : le 5 février 2015 par exemple, 200 catholiques ont été arrêtés et emprisonnés lors d’un cortège pacifique à New Delhi. Les militants protestaient justement contre le manque de soutien accordé par les autorités dans les attaques subies à l’encontre de leurs lieux de culte.
Crédit : BBC
Crédit : BBC

Cette tendance à opter pour une vision extrême de l’hindouisme a également des répercussions sur le statut des femmes dans le pays. Seulement deux ans après le scandale du viol groupé et du meurtre d’une étudiante dans un bus à New Delhi, les questions des genres et de l’insécurité sont loin d’être réglées. Alors que l’idée se répand qu’il est de la responsabilité des femmes de se protéger du viol, le BBC y a consacré un documentaire sorti au mois de mars dernier. 

Au travers de l'interview de l'un des violeurs de l'étudiante de New Delhi, ce documentaire a beaucoup choqué et déclenché diverses réactions. Il devait être diffusé à la télévision indienne à l’occasion de la Journée internationale de la femme, puis a finalement été interdit. Mais malgré les maladroites tentatives de stopper sa diffusion sur Youtube, ou peut-être grâce à elles, le film a été un véritable événement et le débat n’a cessé de s’amplifier jour après jour sur internet. La question de l’émancipation des femmes et les tabous de la société traditionnelle sont cruciaux en Inde.

Ces questions nécessiteraient des mesures de taille en termes d’information, d’éducation et de propositions de débats publics, mais pour le moment les autorités continuent de « faire l’autruche ».

Le succès de la politique étrangère : pour une Inde plus grande que l'Inde

Connu pour multiplier les déclarations de haines contre le Pakistan, interdit de séjour aux Etats-Unis pour incitation à la violence, Narendra Modi faisait, avant son arrivée au pouvoir, l’objet de nombreux doutes quant à sa capacité à représenter l’Inde à l’international. Pourtant depuis plus d’un an, il a multiplié les déplacements et n’a cessé de se faire remarquer positivement aux quatre coins du globe. L’objectif de ses visites : redonner à l’Inde son panache. Narendra Modi veut ramener son pays en force sur la scène internationale et le consacrer comme une puissance asiatique de taille. L’idée est également d’encourager les pays étrangers à investir en Inde, autour du  projet « Make in India ».  

Crédit : US News
Crédit : US News
Très tourné vers l’est, Narendra Modi a choisi d’effectuer sa première visite au Japon, avec qui il espère créer une relation privilégiée. Quant à la Chine, rivale historique de l’Inde, il a su mettre en place des liens cordiaux en rencontrant Xi Jinping dans les deux pays. Affichant un profil bas sur l’épineuse question des frontières, le Premier ministre indien a signé avec Pékin des contrats d’un montant de quelques 12 milliards de dollars. Des avancées vers la Russie ont également été entreprises. Quant aux voisins immédiats, Modi a su calmer les tensions, notamment avec le Bangladesh, et ne cache pas son ambition de faire de l’Inde le leader du groupe SAARC, « South Asian Association for Regional Cooperation ».

Ses mains tendues vers les puissances en développement ne l’ont pas empêché d’entretenir de bonnes relations avec les pays occidentaux. Cette année, il a été reçu comme invité de marque par entre autre Barack Obama, François Hollande, ou Angela Merkel. Et dans chacune des villes où il s’est rendu, les Indiens résidents à l’étranger lui ont réservé un triomphe. La diaspora représente, elle aussi, un pont avec les autres pays, et il l’a convaincue haut la main.

Un « bourreau » devenu héros ?

Depuis plus de trente ans, l’Inde ne s’était jamais trouvée en situation de majorité absolue dans son Parlement. Ajouté à cela le charisme de son Premier ministre, il semble que pour la première fois, le pays a l’opportunité de tendre à un vrai changement. Toujours face à l’absence d’opposition sérieuse, Narendra Modi parle d’ailleurs déjà de deuxième mandat, notant à la fois l'ampleur du pouvoir qui lui a été confié, mais aussi les chantiers qu'il a entamé. Ces conditions d’un pouvoir plus efficace, fort, et centralisé devraient permettre à l’Inde de se dynamiser, s’unifier, proposer une image plus lisible et surtout faire revivre la confiance du peuple indien en son pays.

Une chose est sûre, pendant sa campagne, et tout au long de cette première année, Narendra Modi a gagné une bataille : celle de la communication. Il est passé de l’image publique du tyran à celle d’un véritable sauveur, à la fois auprès des citoyens, des entreprises et dans les pays étrangers. Modi semble aujourd’hui avoir la cote partout où il va. Et il n’hésite pas à enchaîner les « coups marketing » : le 21 juin dernier par exemple, son apparition sur le tapis parmi la foule à l’occasion de la toute première Journée Internationale du Yoga a une fois de plus été un énorme succès. Se présentant lui-même comme un bourreau de travail, il a fait la une toute l’année, tandis que ses ministres ont été presque absents au sein des médias.
Crédit : business insider
Crédit : business insider

Il est bien entendu possible de s’interroger sur la capacité d’un seul homme à représenter l’Inde dans toute sa diversité. Si les efforts de communication ont payé et semblent fonctionner autour du personnage « Narendra Modi », il ne faudrait pas qu’ils se fassent au dépend de véritables actions politiques du gouvernement, ni au détriment des minorités.

Le bilan des quatorze premiers mois passés au pouvoir est difficile à tirer. Le désastre annoncé par les « anti-Modi » n’a pas eu lieu. La vague de changement souhaitée par ses électeurs non plus. Le Premier ministre ne s’est pas encore exprimé sur un certain nombre de sujets clés. Après plus d’un an, son silence sur certaines questions sociales a jusqu’à présent permis d’éviter les gros conflits attendus avec son opposition, mais commence à impatienter certaines franges de la population. Il faudra donc attendre un peu plus longtemps pour connaitre la réelle efficacité de la politique de Narendra Modi. 

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