Irlande du Nord : « Au delà les divisions »

Fabien Aufrechter
8 Septembre 2013



En novembre 2012, des émeutes éclatent à Belfast en réaction au retrait de l’Union Jack qui flottait jusqu’alors sur la mairie de la ville. En juillet 2013, les émeutes reprennent suite à la déviation d’une parade protestante. Malgré les Accords du Vendredi Saint en 1998 et les tentatives d’apaisement, l’Irlande du Nord est toujours en proie à des tensions territoriales, sociales et religieuses.


Statue nommée « Au delà les divisions » à Derry/Londonderry | Crédits photo -- Stéphanie Escudier
Statue nommée « Au delà les divisions » à Derry/Londonderry | Crédits photo -- Stéphanie Escudier
Se promener dans les quartiers catholiques ou protestants d’Irlande du Nord, est toujours une expérience saisissante. Des petites plaques de marbres émaillent les rues célébrant la mémoire des personnes tuées pendant les « Troubles » (période de très grande violence, pour ne pas dire de guerre civile, qui a eu lieu de 1969 à 1998). Les curieux constateront rapidement un fait singulier : certaines dates d’assassinats sont très récentes : 2011, 2012, 2013… La violence est le quotidien de l’Irlande du Nord depuis plus de trois siècles.

Ces violences s’expliquent originellement par les rivalités territoriales illustrées par la main rouge du drapeau de l’Ulster. La légende viking veut, dans une de ses versions, que le nord de l’Irlande devait revenir au premier qui poserait la main sur son territoire, au terme d’une course de drakkar. Un concurrent particulièrement avide de l’emporter, mais constatant qu’il ne gagnerait pas la course, aurait alors coupé sa main pour la lancer sur la rive, devenant le souverain du nord de l’Irlande. Pour ses richesses et sa situation stratégique, le nord de l’Irlande n’a cessé d’être convoité depuis l’ère viking… Aujourd’hui, c’est sur des questions de passage ou de propriétés que la violence surgie.

Deux nations pour un Etat

La question nord-irlandaise s’est cristallisée autour du problème religieux. Depuis la création de plantations britanniques par accaparement des terres en Ulster, puis avec la défaite des Jacobites catholiques en 1690 à la bataille de la Boyne, les Britanniques anglicans dominent l’Ulster politiquement et économiquement. En 1921, le traité anglo-irlandais entraîne la séparation des six comtés du Nord de l’Irlande de l’Etat libre d’Irlande. L’adoption de la Constitution de l’Irlande en 1937 transforme l’Etat libre d’Irlande en République d’Irlande.

La revendication des républicains catholiques, souhaitant le rattachement de l’Irlande du Nord à la République d’Irlande est une des causes du déclenchement de la guerre civile puis le moteur des attentats de l’Irish Republican Army (IRA). A ces violences, les Anglicans répondirent par des représailles, réalisées par des fraternités plus ou moins structurées dont la plus célèbre est l’Ordre d’Orange. Les Orangistes (dont le nom vient de Guillaume d’Orange, le vainqueur de la bataille de la Boyne) et les autres fraternités défilent encore régulièrement dans les villes d’Irlande du Nord pour rappeler leur puissance et leur influence.

Parade orangiste à Belfast | Crédits photo -- Fabien Aufrechter/Le Journal International
Parade orangiste à Belfast | Crédits photo -- Fabien Aufrechter/Le Journal International
En novembre 2012, c’est donc la décision du conseil municipal de Belfast, dominé par le Sinn Féin (parti nationaliste et républicain), de ne plus faire flotter l’Union Jack sur la Mairie en dehors d’occasions spéciales, qui a mis le feu aux poudres engendrant six semaines d’émeutes, une centaine d’arrestations et 70 policiers blessés. Plus récemment, la déviation de la parade protestante du 12 Juillet (jour anniversaire de la bataille de la Boyne), pour éviter qu’elle ne traverse un quartier catholique, a ravivé les violences. Un mois plus tard, le 9 août, lors de la commémoration par les catholiques du début des internements sans procès (qui commencèrent le 9 août 1971), des protestants s’opposèrent à la célébration blessant plus d’une cinquantaine de policiers à coups de briques et de pintes de bières. La violence est devenue l’arme privilégiée des protestants loyalistes à la couronne britannique pour résister à l’influence grandissante des catholiques.

La politique de la peur

Quelque part, la crise économique est surement le responsable d’une telle violence : les protestants, surreprésentés dans l’industrie, sont plus touchés par celle-ci que les catholiques. Démographiquement, les protestants, jusqu’alors plus nombreux que les catholiques, sont dépassés par ceux-ci. Les implications politiques effrayent la nouvelle minorité qui découvre que la démocratie est une « dictature de la majorité ». La violence a donc changé de camps lorsque l’ancienne majorité s’est sentie marginalisée et donc en danger, même si elle n’est pas devenue l’arme exclusive d’un seul camp.

Les « Troubles » et conflits religieux ont laissé place à de violentes revendications sociales. Le chômage mine les quartiers protestants comme les quartiers catholiques. Les populations se sentent délaissées et n’ont plus foi en l’avenir. Nouvelle « génération perdue », la jeunesse vit dans la mémoire de la violence des « Troubles » et, faute de meilleurs exemples, n’hésite pas, à caillasser les voitures des touristes venus voir les fresques ornant les murs de Belfast. La situation n’a rien de similaire aux « Troubles », mais les accords du Vendredi Saint ne sont pas parvenus à balayer la culture de la violence qui caractérise l’Irlande du Nord.

Au pied du mur

En Mai 2013, le Premier ministre (protestant) et le vice-Premier ministre (catholique) ont décidé d’un commun accord, de détruire sous dix ans, les murs qui séparent les quartiers catholiques des quartiers protestants à Belfast. Si cette destruction est une catastrophe sur le plan du patrimoine, c’est une nécessité en vue de l’amélioration des relations entre catholiques et protestants. Cela n’est toutefois pas une solution à long terme : c’est seulement un premier pas vers la cohésion sociale nécessaire à l’enrayement de la violence. Cette cohésion restera hors de portée tant que ne sera mise en place une politique durable d’apaisement, une véritable politique sociale. Or, une telle politique supposerait un consensus des deux ailes ennemies de la coalition gouvernementale instaurée par le traité de Saint Andrew en 2006. En l’absence d’un tel accord, la situation reste insoluble.

Mur de la paix à Belfast| Crédits photo -- Fabien Aufrechter/Le Journal International
Mur de la paix à Belfast| Crédits photo -- Fabien Aufrechter/Le Journal International
Un exemple de ce « consensus introuvable » est la situation concernant le site de la prison où furent incarcérés les membres de l’IRA arrêtés par la police britannique pendant les « Troubles ». Alors qu’un consensus avait été trouvé avec la construction, sur le site, d’un lieu de mémoire sous la forme d’un Centre de la Paix, le Premier ministre nord-irlandais Peter Robinson s’est brutalement ravisé, mettant un terme au projet alors même que les fonds de soutien européens avaient été versés. Même lorsque le consensus est à porté de main, il disparaît au dernier moment. La « paix introuvable » explique en partie le désarroi des Irlandais du nord.

Les violences récentes ne sont plus liées aux « Troubles », le retrait d’un drapeau ou la déviation d’une parade. C’est bien le chômage, le manque de consensus et donc de vision ainsi que le désarroi des populations qui constituent la véritable difficulté. C’est en effet cela qui rend les populations plus manipulables par les groupements religieux qui cherchent à raviver un conflit d’un autre temps. Ces groupuscules extrémistes aussi bien catholiques que protestants, qui profitent de la crise, à la manière d’Aube dorée en Grèce, cherchent à ramener l’Irlande vers un passé pas si lointain alors même que la plupart des Irlandais, du Nord ou de la République, considèrent qu’il est tant que l’Histoire soit digérée, que les morts soient enterrés et que les blessures soient refermées pour que soit enfin posé le point final de la dernière guerre de religion en Europe.

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