L'enterrement de l'ex-dictateur Videla fait débat

30 Mai 2013



Jorge Rafael Videla est mort. L'ancien dictateur argentin est décédé le vendredi 17 mai dans sa cellule à l'âge de 87 ans. Condamné à une peine de prison à perpétuité pour de multiples violations des droits de l'homme, il emporte avec lui le souvenir des années noires de l'histoire Argentine. Tandis que le pays poursuit sa politique de condamnation de ses anciens dirigeants, les habitants de Mercedes, ville natale de l'ancien Président, s'opposent à son enterrement.


AP Photo/Eduardo Di Baia, File
AP Photo/Eduardo Di Baia, File
Il avait mené le coup d'État militaire du 24 mars 1976 en tant que chef de l'armée. Avec ses collègues de la Junte militaire Emilio Massera et Orlando Agossi, ils avaient renversé le gouvernement d'Isabel Perón afin de mettre en marche le Processus de Réorganisation Nationale, une dictature maintenue jusqu'en 1983 et au cours de laquelle ont été commis de nombreuses atrocités.

Accusé de crime contre l'humanité et de terrorisme d'État pour avoir fait séquestrer, torturer et disparaitre des milliers d'opposants politiques, Jorge Rafael Videla avait été condamné au cours de multiples procès. Privé de liberté depuis 2008, l'ancien Président avait d'abord été assigné à résidence puis placé en détention préventive avant d'être définitivement condamné en 2010, reconnu notamment coupable dans l'affaire des vols de bébés des disparus sous le régime militaire.

Détenu dans le pénitencier de Marcos Paz près de Buenos Aires, l'ex-dictateur âgé de 87 ans semble avoir succombé à une mort naturelle, bien que l'autopsie publiée dans le journal Perfil révèle qu'il « souffrait de fractures diverses n'ayant pas été suffisamment prises en compte par l'équipe médicale. » Il venait de comparaître au procès du Plan Condor au cours duquel il avait refusé de s'exprimer, se considérant lui-même comme « un prisonnier politique, victime du régime d'inspiration marxiste que tente d'imposer l'actuelle Présidente Cristina Kirchner ». Le jugement, concernant 25 autres inculpés, dont le dictateur Reynaldo Bignone, vise à mettre en lumière l'implication des différents dictateurs d'Amérique Latine dans le vaste réseau de répression des opposants mis en place dans les années 70 et 80 et en partie financé par les États-Unis.

L'annonce de la mort de Videla, le 17 mai dernier, a relancé le débat dans l'opinion publique. Certains de ses proches ont tenu à exprimer leurs condoléances dans la version en ligne du journal la Nación. Le corps du défunt doit maintenant être restitué aux membres de sa famille. Il pourrait être enterré à Mercedes, ville natale de l'ancien Président. Les habitants de la commune s'opposent au projet. Ils ont affiché à l'entrée du cimetière des hommages aux disparus de la dictature. Selon les organisations des Droits de l'Homme, la junte militaire serait responsable de la disparition de 30 000 personnes. Certains corps n'ont depuis jamais été retrouvés. Ils étaient jetés depuis des avions dans le Rio de la Plata, le fleuve qui sépare l'Argentine de l'Uruguay.

De 1985 à 2012, les condamnations se sont multipliées

Jorge Rafael Videla a été le premier Président nommé par la Junte au pouvoir après le coup d'État de 1976. Issu d'une famille traditionnelle et catholique de San Luis, ce chef de l'armée et père de 7 enfants a gouverné l'Argentine jusqu'à la nomination de Roberto Eduardo Viola en 1981. On retiendra de ses deux mandats la politique d'ouverture et de libéralisation du marché économique engagée par le ministre Martinez de Hoz et les nombreuses arrestations de communistes et opposants politiques perpétrées par la Junte militaire. Condamné à perpétuité lors du procès de la Junte en 1985, l'ancien dictateur est amnistié par le Président Menem en 1990. Il a fallu attendre 2003 pour que le Congrès argentin déclare la nullité des lois de Punto Final et de devoir d'obéissance. Les enquêtes sont alors rouvertes. Videla est jugé et condamné en 2010 à une peine de prison à perpétuité pour les crimes et les délits commis. Il est transféré à une prison commune suite à une condamnation venue se greffer en 2012 le reconnaissant coupable dans l'affaire des bébés volés.

Au total, l'ancien Président Videla est « reconnu pénalement responsable de 504 privations illégales de liberté, de nombreux homicides, tortures, vols, falsifications idéologiques de documents publics, séquestrations, usurpations, censures et enlèvements de mineurs. » La liste des accusations a été publiée par le journal Clarin. Le procès du 5 juillet 2012 a par ailleurs enquêté sur 35 cas de bébés nés en captivité puis enlevés. Dans le livre « Confession finale » publié l'an dernier, le journaliste Ceferino Reato relate ses différentes visites rendues au prisonnier. L'ancien militaire y avoue le meurtre de plus de 7000 disparus. Il explique aussi les raisons de ces disparitions et les méthodes employées.

« Les disparitions étaient la seule solution que nous avions »

L'Argentine est l'un des seuls pays au monde à avoir procédé au jugement de ses propres dictateurs. Une initiative courageuse mise en place par l'ancien Président Nestor Kirchner et dont le processus a ouvert la voie ces dernières années à un vaste courant intellectuel de remise en cause et de réflexion à l'échelle mondiale. Ainsi pour Victoria Ginzberg, journaliste de Pagina 12, « la junte militaire qui s'est emparée du pouvoir, a répandu la terreur parmi la population en reprenant la doctrine de sécurité nationale nord-américaine et le modèle de l'École Française de la Guerre d'Algérie. Les dirigeants ont bénéficié du soutien spirituel de l'Église pour créer des centres de détention clandestins. Il s'agit d'une politique répressive parfaitement structurée et nommée par l'État lui-même. »

Le terrorisme d'État existait cependant bien avant l'arrivée de Videla au pouvoir. La traque des opposants armés tels que les Montoneros était en effet déjà pratiquée sous le mandat d'Isabel Peron. Son recours a été repris et amplifié par la junte au pouvoir qui employait pour désigner les disparitions le terme de « disposition finale ». Un vocabulaire similaire à celui de l'Allemagne nazie qui repousse les capacités d'anticiper la mise en place des machines de guerre. « Lorsque nous avons orchestré le coup d'État, nous ne savions que faire des opposants au régime, confie Videla dans sa biographie. Tous ces gens ne pouvaient n’être ni fusillés publiquement ni condamnés légalement. Il n'y avait pas d'autres solutions. Ces disparitions étaient le prix à payer pour gagner la guerre contre la subversion sans que la population s'en rende compte. »

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Marion Roussey
Lorsque l'addiction du voyage rencontre la passion de l'écriture, elles forment un cocktail... En savoir plus sur cet auteur