L'or noir de Daech

Les questions soulevées par la rente pétrolière de l'Etat islamique

Léo Kabouche
30 Novembre 2015



Alors que le 18 novembre dernier, Vladimir Poutine annonçait la mise en place d’une commission spéciale chargée de combattre le financement du terrorisme, l’importance de la manne pétrolière de l’Etat islamique (EI) est toujours d’actualité. Chaque jour, Daech (acronyme arabe de l’EI) tire les bénéfices de « l’or noir », exploité sur les terres conquises en Irak et en Syrie. Ces secteurs représentent un enjeu crucial pour la coalition internationale dans sa lutte contre le califat.


Crédit DR
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Fondé en 2006 par le djihadiste jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, « le monstre Etat islamique » contrôle aujourd’hui une bonne partie des territoires syrien et irakien. Le magazine Forbes a placé son chef, l’autoproclamé calife Abou Omar al-Baghdadi, à la 57ème position du classement des personnes les plus puissantes du monde en 2015. L’EI a éclaté à la face du monde le 10 juin 2014 à la suite de la prise symbolique de la ville de Mossoul (Irak), et vient en moins d’un an de perpétrer deux attentats majeurs sur le territoire français. Depuis deux ans, l’organisation terroriste prospère sur les ruines de deux Etats en pleine décomposition, dont elle exploite pleinement les ressources. 

Selon un rapport publié par Jean-Charles Brisard, expert en terrorisme international, 82 % des revenus financiers de l’Etat islamique proviennent directement des ressources à sa disposition. À l’intérieur de ce pourcentage, 38 % des recettes financières de Daech sont générées par la vente de pétrole au marché noir. Grâce à la conquête de champs pétrolifères en Syrie et en Irak, parmi lesquels des sites majeurs comme Al-Omar, Raqqa et Deir Ezzor, l’organisation terroriste a rapidement été en mesure de s’autofinancer. Contrairement à Al-Qaïda, dont la survie économique était assurée grâce à des donations privées, locales ou internationales ainsi que par les rançons obtenues grâce aux prises d’otages, l’Etat islamique finance de manière automne « sa croisade » au Moyen-Orient et en Europe.  

Des revenus considérables

Les djihadistes contrôlent une vingtaine de puits en Irak en Syrie, soit 10 % de la production irakienne et 60 % de la production syrienne. L’exploitation de pétrole rapporterait entre 500 000 et un million d’euros par jour. Selon une grande enquête publiée par le Financial Times, Daech produirait entre 34 000 et 40 000 barils de pétrole brut par jour. Vendu en dessous des prix du marché, entre 15 et 40 dollars le baril selon sa qualité, ce pétrole est exporté vers les pays traditionnellement clients de l’Irak, ce qui inclut donc certains États de l’Union européenne. En septembre 2014, dans une déclaration qui avait fait beaucoup de bruit, Jana Hybaskova, ambassadrice de l’Union européenne en Irak, avait d’ailleurs affirmé que « certains Etats membres de l’UE achètent le pétrole à Daech ». 

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Comme le souligne Derek El-Zein, Maître de conférences au sein de l’Université Paris Descartes et expert en relations internationales, « le marché du pétrole est un marché au fonctionnement opaque et permet ce genre d’opérations, d’autant plus qu’il permet de réaliser des marges substantielles aux acteurs impliqués dans la vente de pétrole gris ». Il devient alors dans l’intérêt de nombreux acteurs de ne pas anéantir les exportations de pétrole de l’Etat islamique. 

Le double jeu turco-syrien

Cette situation est rendue possible grâce au laxisme turc, qui ferme les yeux sur ce lucratif trafic se déroulant à ses frontières. « Les approvisionnements des pays clients de l’Irak prenaient avant l’Etat islamique et depuis son existence les mêmes voies principales à travers la Turquie. Ce pays a eu et a encore une attitude ambiguë face à Daech, et a contribué grandement à l’acheminement à la vente de ce pétrole », précise Derek El-Zein. 

Par ailleurs, le cas de la Syrie soulève également des interrogations. Ce pays, ravagé par le conflit opposant le régime de Bachar Al-Assad aux rebelles depuis 2011, n’a jamais connu de pénurie énergétique alors même que les principaux sites pétroliers syriens sont aujourd’hui aux mains des terroristes. Comme l’explique Derek El-Zein, il ne faut pas considérer qu’un pays en guerre est un pays qui cesse de fonctionner, il s’organise différemment avec des contraintes nouvelles. Le Liban qui a connu près de 20 ans de guerre civile s’est trouvé dans cette situation et y a fait face. « Les intérêts en jeu sont si importants qu’ils génèrent des circuits de production et d’approvisionnement nouveaux, ce qui oblige parfois les belligérants à coopérer dans certains domaines et à sa battre dans d’autres ». Ainsi, s'ils sont ennemis sur le champ de bataille, le régime syrien et l’Etat islamique sont partenaires sur le marché du pétrole. 

Une rente en baisse

Les revenus générés par l’exploitation de l’or noir sont aujourd’hui conséquents, et permettent de financer les activités de l’Etat islamique. La question est de savoir jusqu’à quand. Les frappes menées par la coalition internationale contre les sites localisés sur les territoires de Daech portent considérablement atteinte à la régularité de sa rente pétrolière. À la suite des attentats meurtriers commis à Paris le 13 novembre dernier, tout porte à croire que la France et ses alliés intensifieront grandement leur action militaire. Le califat devra ainsi faire face à une limite majeure, car sans sa manne pétrolière, il sera difficile de régler des dépenses toujours plus importantes sans affaiblir structurellement l’organisation. 

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