La déflation : un problème en devenir

Corentin Corcelette
2 Décembre 2014



La nouvelle crainte des pays européens porte un nom : la déflation. Les politiques d’austérité en Europe conduisent au ralentissement de l’économie et sont la principale cause de ce risque de déflation. Dans l’imagerie populaire, la déflation se définit comme la baisse du niveau des prix et donc comme un regain de pouvoir d’achat. La réalité est radicalement différente, le cercle vicieux de la déflation n’est en rien enviable. Analyse.


Crédit DR
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La Banque centrale européenne (BCE) se fixe comme objectif premier de limiter l’inflation à 2% par an. Cependant, pour le mois d’août 2014, la hausse des prix dans la zone euro en rythme annuel, c’est-à-dire entre août 2013 et août 2014, n’a été que de 0.3%. En France, ce chiffre est de 0.5% mais en Grèce, en Espagne, en Italie, au Portugal, en Slovaquie, les prix ont commencé à diminuer. Pour être précis, les économistes parlent de déflation lorsque la diminution des prix ne s’accompagne pas d’une diminution correspondant au niveau des taux d’intérêt. C’est par exemple le cas lorsque les prix baissent et que les taux d’intérêt ne peuvent pas devenir négatifs. Pour comprendre cette définition, nous allons nous intéresser aux différents impacts de la déflation. 

Le cercle vicieux de la déflation

Deux cas sont à distinguer : le court et le long terme. À court terme, la déflation ne pose pas de problème majeur. Au contraire, elle contribue à redonner du pouvoir d’achat. En effet, nous pouvons prendre l’exemple des salaires dans le secteur privé. En France, ces salaires ont augmenté de 1.5% entre mars 2013 et mars 2014 pour seulement 0.6% d’inflation. Cependant, à long terme, la déflation est une catastrophe pour l’économie. Les ménages reportent leurs achats en anticipant la future baisse des prix. En effet, pourquoi acheter aujourd’hui alors que demain les prix seront encore moins élevés ? Les entreprises vont alors répercuter cette baisse de la consommation sur les prix et vont devoir rogner leurs marges avec possibilité d’un ajustement sur la masse salariale. En d’autres termes, elles vont devoir licencier. Ces deux premiers effets sont facilement compréhensibles. Revenons à présent sur la définition même de la déflation, évoquée ci-dessus.

La déflation est caractérisée par une hausse des taux d’intérêt réels. Ces derniers définissent ce que les économistes appellent le coût du capital. Un exemple simple permet de comprendre cet argument. Nous décidons de réaliser un emprunt de 100 avec un taux d’intérêt à 2%.  L’année prochaine, je devrai donc rembourser 102. Si entre-temps les prix ont diminué de 2%, mon bien vaut 98 et si je décide de revendre mon bien pour rembourser le prêt alors le taux d’intérêt réel est de 4%. Effectivement, mon bien a perdu de sa valeur et donc en réalité le taux d’intérêt de mon emprunt est de 4%. Prenons l’exemple inverse, si les prix ont augmenté de 2% au lieu de diminuer, alors mon bien vaut 102 et le taux d’intérêt réel est de 0%. L’inflation est donc enviable dans certains cas. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en période de déflation un projet d’investissement a besoin d’être plus rentable pour qu’il soit « justifié ». Et donc la baisse du niveau d’investissement – à cause de l’augmentation des taux d’intérêt réels - est une autre caractéristique de la déflation. 

Et le cercle vicieux ne s’arrête pas là. En effet, de manière symétrique avec ce qui précède, la déflation va conduire à une augmentation du poids de l’endettement. Les taux d’intérêt du remboursement de la dette publique augmentent. La difficulté à se désendetter s’intensifie, alors que la dette publique s’établit déjà à 94% du PIB en France, 97% en Espagne et 136% en Italie, au premier trimestre 2014. Reprenons un exemple afin de mieux comprendre. Si un État a une dette publique à hauteur de 90% de son PIB avec 3% de déficit public, une croissance de 2% et un taux d’inflation de 2.5%, alors les 93% de dette publique l’année suivante sont à rapporter à 104,5 de PIB. Au final, nous aboutissons à une diminution de 1.5% de son taux d’endettement à 88.5%. Mais si un autre État a cette fois-ci 0.5% de croissance et 0.5% d’inflation – comme la France - alors les 93% de dette publique sont à rapporter à 101 de PIB. Nous arrivons alors à une augmentation de son taux d’endettement de 2% à 92%. 

Les causes de la déflation

La première chose à noter, c’est que le problème semble interne à la zone euro. Certes, le ralentissement de l’économie chinoise provoque une chute des exportations vers le pays, mais les États-Unis qui sont à l’origine de la crise - à cause d’une dérégulation financière hasardeuse et de déséquilibres sociaux élevés – s’en sortent beaucoup mieux. Cette année, le pays compte 10 points de PIB de plus qu'à l’avant-crise et une création de 1,2 millions de poste en plus. Alors que l’Europe connaît, elle, un niveau de production inférieur à celui de 2008 et une destruction d’emplois de l’ordre de 4,8 millions. Le problème serait alors l’hétérogénéité de la zone euro. Il y a un excès d’épargne dans la zone euro que traduisent les excédents extérieurs.

En effet, ces excédents extérieurs sont quasiment entièrement allemands. L’Allemagne, avec sa démographie déclinante, n’a pas d’autre choix que d’imposer une rigueur budgétaire au reste de l’Europe. Ainsi, outre-Rhin, le prix Nobel d’économie Maurice Allais n’a pas beaucoup d’écho. Et pour cause, il dit que « ce n’est pas parce qu’on est déjà très endetté qu’il ne faut pas prendre un nouveau crédit s’il s’agit de financier un projet très rentable ». L’investissement dans la transition énergétique pourrait par exemple s’avérer très rentable. Mais la population allemande diminue trop rapidement avec un taux de natalité de 1,4 enfants par femme. Ainsi, la réduction de la dette et le rééquilibrage des comptes est essentiel pour un pays qui sait qu’il produira moins de richesses dans le futur car sa population va diminuer. 

À l’inverse, dans 30 ans la France deviendra le pays le plus peuplé d’Europe alors que l’Allemagne compte aujourd’hui 25 millions d’habitants en plus. Et c’est donc tout naturellement que la France n’a pas un besoin vital et très urgent de mettre à jour ses comptes publics. 

De ce fait, l’austérité aggrave les choses en jouant un effet récessif. En 2009, les États avaient lâché la bride des déficits pour éviter que l’activité ne s’écroule comme en 1929. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, les plans d’austérité des pays du sud s’accumulent. Ce qui provoque – comme vu précédemment - un résultat limité sur les déficits à cause de la stagnation de l’économie. Les recettes fiscales sont plus faibles. Par exemple, le déficit public grec est toujours de 12,7% et de 7,1% en Espagne. De plus, la dette publique de la zone euro est en moyenne de  96,4% du PIB avec un augmentation de 320 milliards prévue cette année. La course au moins-disant salarial est un exemple de cette politique visant à rééquilibrer les comptes extérieurs en attirant les investisseurs. 

Nous pouvons entendre depuis le début de la crise que le problème en France est la compétitivité et donc le coût du travail, qui serait trop élevé. Nous ne reviendrons pas sur ce débat dans cet article mais c’est cette politique qui est mise en place dans la zone euro. Ainsi, le coût d’un travailleur grec a diminué de 15% entre 2010 et 2013, 3% pour un italien, 3,3% pour un portugais, 4% pour un espagnol et 4,9% pour un irlandais. Mais cette politique est inefficace car elle est menée conjointement par tous les pays. Donc l’avantage compétitif a été restreint sauf avec la France. En effet, la compétitivité de la France diminue par rapport à l’Espagne – client très important – et la spécialisation de la France ne lui permet pas d’exporter hors de la zone euro, à l’inverse d’un pays comme l’Allemagne. L’autre problème de cette politique, c’est la réduction de la demande intérieure, car le coût du travail doit aussi être interprété en termes de revenus et donc de consommation. Mais alors que la croissance d’un pays comme la France repose beaucoup sur la consommation, celle-ci est contractée. 

Les solutions pour sortir de la déflation

Il est impératif de ne pas laisser cette situation s’envenimer afin de ne pas être confronté au cas du Japon. Le pays a une dette publique qui s’élève à 250% de son PIB en 2013, mais détenue en grande majorité par les japonais, ce qui explique que le Japon ne soit pas attaqué par les marchés. Son PIB en prix courants a diminué de 10% entre 1997 et 2013. La déflation est monnaie courante depuis 20 ans dans le pays. Après analyse, la difficulté à sortir de la déflation semble insurmontable. En Europe, plusieurs mécanismes sont à l’œuvre pour échapper à cette spirale. Le taux de refinancement, qui représente le prix auquel les banques commerciales achètent leurs liquidités afin de faire crédit aux ménages et aux entreprises, a diminué pour atteindre 0,05 aujourd’hui. Nous ne pouvons pas descendre plus bas.

Les banques peuvent alors prêter plus facilement aux entreprises et aux ménages. L’objectif recherché est de provoquer une relance de l’économie. Il existe d’autres instruments d’assouplissements quantitatifs,  « quantitative easing », consistant à créer de la monnaie pour l’injecter dans l’économie. Il s‘agit d’inonder l’économie de liquidité en injectant 1000 milliards d’euros, que la BCE va prêter aux banques sous forme de prêts à long terme, à condition que celles-ci prêtent aux entreprises pour les aider dans leurs projets d’investissements. Un dernier levier non utilisé par la BCE mais monnaie courante pour les États-Unis et le Royaume-Uni, c’est le rachat d’obligations publiques. Ce que les médias appellent communément la planche à billets, en empruntant auprès de la BCE sans intérêts. 

Cependant, la loi de 1973 oblige l’État français à emprunter sur les marchés financiers avec des taux d’intérêt plus ou moins élevés. Le but recherché était de limiter l’inflation, qui était la grande peur des politiques de l’époque. Cet objectif était déjà très discutable. Mais alors qu’aujourd’hui la France a payé 1700 milliards d’euros d’intérêts et a une dette qui est de 2000 milliards, ne faudrait-il pas revenir en arrière ? En effet, le remboursement des intérêts est le 1er ou 2ème poste budgétaire de la France, selon les années. 

Pour aller plus loin, d’autres solutions peuvent être envisagées. La baisse de l’euro par exemple permettrait aux pays du sud de gagner en compétitivité et donc de réaliser des excédents commerciaux. En effet, l’euro fort est un facteur majeur de déflation mais la zone euro prise dans son ensemble dégage 200 milliards d’euros d’excédents extérieurs par an soit 2% du PIB total. L’euro fort permet notamment à l’Allemagne de faire la majorité de ses excédents. Prenons l’exemple du secteur automobile. Soit une Mercedes à 100 000 euros, une Renault à 18 000 euros et une Hyundai à 20 000 dollars. Si 1 euro = 1 dollar, alors les personnes aisées vont acheter la voiture allemande et les classes moyennes vont acheter la voiture française car ce qui intéresse ces derniers agents, c’est le coût. À l’inverse si on prend la situation classique où 1 euro = 1,40 dollars alors la Mercedes vaut 140 000 dollars, la Renault 25 200 dollars et la Hyundai toujours 20 000 dollars. 

Donc les classes aisées vont toujours acheter la Mercedes car ils veulent s’acheter un statut social - 40% de gain supplémentaire pour l’Allemagne - mais le couple ayant des soucis financiers va acheter la Hyundai et donc Renault va perdre des parts de marché. Les politiques répondent qu’il suffit de copier le modèle allemand en fabriquant des produits haut de gamme. Le problème, c’est que ces différences de gammes sont issues de problèmes structurels, qui vont mettre des années avant de se combler. Mais en attendant, l’Allemagne dirigeant l’Europe, il semble peu vraisemblable d’assister à une baisse de l’euro. D’autant plus que le pays évoque comme argument le risque d’une guerre commerciale, où tous les pays chercheraient à diminuer leur monnaie pour devenir plus compétitifs. 

À l’heure actuelle, il est évident que les mesures prises ne suffisent pas. Même en Allemagne, le ralentissement se fait sentir avec 1.3% de croissance en 2014 au lieu des 1,9% prévus en début d’année. Cependant, la situation semble être bloquée à cause de l’hétérogénéité des pays de la zone euro. Ils ont en effet des intérêts économiques totalement divergents. Mais tout le monde s’accorde sur le fait que la déflation pose de nombreux problèmes: elle s’accompagne d’une baisse de l’activité économique, les ménages consomment moins, les entreprises produisent moins à cause des réductions d’effectifs ou des salaires, contraints par cette baisse de la consommation. Les ménages vont alors voir diminuer leurs revenus, et la boucle se répète sans cesse.

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