La grande panne de la machine à vivre ensemble

Malik, pour Candidat à Rien
21 Avril 2013



Michel Foucault voyait en l’école une institution comparable à la prison, chargée de dresser les esprits comme les corps. Aujourd’hui pourtant, jamais l’influence de l’école n’a semblé aussi peu prégnante, jamais l’emprise sur les élèves et l’autorité qu’elle incarnait ne s’est autant estompée, à tel point que le déterminisme s’impose bien avant que l’enfant ait mis les pieds dans une classe. Plutôt que de donner à chaque futur citoyen la chance de repartir de zéro et de prendre en main son destin, l’école ne fait actuellement que confirmer un avenir tout tracé, en en arrondissant parfois les angles.


La grande panne de la machine à vivre ensemble

A l’école de la république

La mission première que s’étaient donnés « les hussards noirs de la république » ne consistait pas à l’origine dans la réussite professionnelle des élèves. Depuis les lois Ferry de 1881-1882 qui rendaient l’école gratuite, laïque et obligatoire, dix ans après la mise en place du nouveau régime, l’éducation nationale était avant tout l’instrument par lequel les élèves étaient formés à l’amour et l’adhésion du nouveau régime. Pourtant, aujourd’hui, c’est parce que l’école ne réussit plus à intégrer professionnellement ses nouvelles générations qu’elle est à ce point détestée.

L’insuffisance de l’école comme garant de l’emploi a conduit à une méfiance générale à son égard. Au mieux, on la considère comme condition nécessaire mais plus suffisante ; au pire, on questionne son utilité en lui préférant d’autres moyens d’intégration. Les départements à connaître, l’orthographe et la grammaire françaises, les savoirs autrefois divulgués à l’école, le socle de connaissances qu’on ne devait pas ignorer, avaient l’avantage d’être à la fois utiles pratiquement mais surtout théoriquement nécessaires au projet d’adhésion commune à une république qui se définissait par la volonté d’appartenance à la nation.

En pratique comme en idéal, les deux objectifs ont été revus à la baisse : moins de temps quotidien à l’école, et surtout plus de temps en dehors de ses hauts murs. Symboliquement, c’est encourager les nouvelles générations à relativiser le poids, au moins horaire, de l’institution. Après avoir fait rentrer des disciplines extra-scolaires au bac (théâtre, musique, sport… dont les coefficients, s’ils ne concurrencent pas complètement les matières plus traditionnelles, sont quand même valorisés), il s’agit de fait sortir les élèves de l’école.

Réformer sans refonder

Les gouvernements se succèdent, avec un seul mot d’ordre : défaire. Preuve qu’aucun n’a d’idée précise, sinon sur les facteurs de la crise de l’éducation, au moins sur le remède que les jeunes générations attendent depuis bien longtemps.

Le XXe siècle fut traversé de nombreuses manifestations de la « querelle scolaire » à savoir, les luttes entre partisans de l’école laïque et ses opposants qui défendaient la liberté de l’enseignement. Si aujourd’hui il n’est plus question d’intégrer les écoles privées à un « grand service public » – comme le projetait la loi Savary de 1984, donnant lieu à une immense levée de boucliers dans la rue –, les derniers gouvernements ont transposé cette question aux programmes scolaires. Dans un souci de retour au « cœur de métier » des filières, et de leur rééquilibrage – car trop inégalitaires selon le rapport Descoings de 2009 « Préconisations sur la réforme des lycées » –, la réforme Chatel réduisait sans aucun complexe le contenu du programme d’histoire de la filière S ; sous Peillon, il s’agit, tout en faisant marche arrière sur le segment du secondaire, de réduire le contenu horaire quotidien (en l’étalant sur une demi-journée de plus) de celui du primaire.

Ainsi, s’il est vrai que le volume horaire reste le même (24 heures par semaine), il est en revanche étalé différemment de façon à alléger la journée des élèves, le but étant de solliciter moins l’attention des enfants en continu. Ainsi, la journée de cours n’excédera pas cinq heures trente, la demi-journée ne dépassera pas trois heures trente, et les élèves se verront réserver du temps pour leurs activités extra-scolaires. Mais les maires voient déjà se poser un problème d’ordre économique : ce seront en effet aux municipalités de prendre en charge les nouvelles dépenses liées à cette refonte du rythme scolaire (frais de cantine ouverte un jour supplémentaire, administrateurs des activités extra-scolaires).

La possibilité pour les municipalités de repousser cette réforme à l’année prochaine pour celles qui le souhaitent a permis de faire la liste des villes qui appuyaient le gouvernement. Sans surprise, on remarque que la réforme ne semble avoir séduit uniquement (ou presque) les villes socialistes. Il est effectivement réjouissant de voir que l’école n’est plus un projet commun d’édifier ensemble la république, mais bien une question d’allégeance politique.

La mission idéaliste de l’école a incontestablement évolué avec le temps jusqu’à devenir plus pragmatique. Plutôt que d’envisager les besoins de la république, les rapports sur l’éducation s’intéressent plus volontiers aux attentes des élèves, qui s’articulent autour de temps scolaire, contenu du programme et orientation. Bien sûr, l’on peut être nostalgique et regretter l’ancien temps ; pourtant, peu importe la manière dont l’école doit désormais faire adhérer ses nouvelles générations à la société française, le défi est bien d’y parvenir d’une façon ou d’une autre.

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