La province du Xinjiang ou la « Nouvelle Frontière » chinoise

Traduit par Maxence Salendre
23 Juillet 2013



En Chine, les autorités locales ne font que rarement la distinction entre le terrorisme et le séparatisme ethnique. La lutte contre les « trois forces du mal » que sont l’extrémisme, le terrorisme et le séparatisme, amène toutes les interprétations et toutes les répressions. Décryptage.


Crédit Photo -- Peter Parks/AFP/Getty Images
Crédit Photo -- Peter Parks/AFP/Getty Images
Selon un communiqué de la BBC du 28 juin, le nombre de victimes dans la province du Xinjiang est passé de 27 à 35 personnes. Les assaillants ont attaqué un commissariat de police, un chantier et un bâtiment du gouvernement, ont poignardé des passants et mis le feu à des voitures de police à Turpan dans le Comté de Shanshan le 26 juin. L’agence de presse Chinoise Xinhua attribue ces attaques au Mouvement Islamique de l’Est du Turkistan (ETIM), considéré comme une organisation terroriste et dès lors interdite.

Xinjiang – terroristes ou nationalistes ?

Le récent incident, considéré par Xinhua comme une attaque terroriste contre le gouvernement provincial chinois d’une région autonome, n’est pas aussi aisément catégorisable. La définition chinoise du terrorisme est confuse. Les mouvements nationalistes ouïghours tels que le Congrès Ouïghour Mondial (dirigé par Rebiya Kadeer) ont proféré des allégations terroristes en accusant Pékin de ne pas être capable de différencier le nationalisme du séparatisme. ETIM, par exemple, qui est soutenu par une minorité d’Ouïghours, se situe aux extrêmes de l’échiquier politique. Cependant, malgré les accusations chinoises dénonçant la présence de liens terroristes (notamment avec Al-Qaida et les talibans), aucune preuve n’a été fournie. Cependant, dans l’imaginaire du gouvernement chinois, les actions d’ETIM sont semblables à des actions terroristes. Et de citer en exemple l’explosion d’une bombe, le 10 août 2008 à Kuqa, une ville du nord-ouest du Xinjiang, durant les Jeux Olympiques de Pékin - un attentat qui a fait onze morts, les dix assaillants et un vigile. Pourtant, la tendance chinoise d’utiliser le terrorisme comme un outil politique pour contrer les velléités séparatistes devrait permettre à Pékin d’ouvrir les yeux sur la situation actuelle et l’objectif d’ETIM d’établir un état indépendant islamique qui serait nommé le Turkistan de l’Est.

Le gouvernement chinois a utilisé la peur qui s’est installée à l’échelle mondiale après le 11 septembre pour placer ETIM sur la « liste noire » des groupes terroristes. Pis encore puisque cette décision a été prise en étroite collaboration avec les États-Unis et les États engagés dans la guerre contre le terrorisme. Plus récemment (en mai 2013), la Chine et le Pakistan se sont mis d’accord pour mettre en commun leurs forces en matière de production de matériel technologique de défense face à ETIM. Leur collaboration se consacre principalement à la lutte contre les « trois forces du mal » que sont l’extrémisme, le terrorisme et le séparatisme. La dernière de ces trois forces pose problème étant donné l’impossibilité pour la Chine de distinguer les groupes nationalistes et séparatistes d’une part et l’existence de groupes activistes Ouïghours militants, non-militants et terroristes d’autre part. Les défenseurs des droits de l’Homme installés dans le Xinjiang s’inquiètent de ces attaques qui, selon eux, risquent d’être utilisées comme motif pour imposer davantage de restrictions sur les pratiques culturelles et la liberté religieuse des Ouïghours.

Droits de l’Homme et conflit ethnique

Selon Human Rights Watch en Chine, le plan de développement décidé en 2010 et mis en place par le gouvernement local compte forcer la population à déménager. Il s'agit de briser la cohésion des quartiers ouïghours pour « réduire les disparités socio-économiques » et « mettre un terme au sentiment séparatiste ». Selon Amnesty International, la liberté d’expression est sévèrement limitée comme le reflète la législation locale qui ne fait pas la différence entre le terrorisme et le séparatisme ethnique. Cette absence de distinction peut donc être utilisée pour persécuter les auteurs ou distributeurs de « matériel séparatiste ». Human Rights Watch en Chine indique également que les actions du gouvernement telles que la politisation du pouvoir judiciaire, l’omniprésence de la police secrète et la multiplication des disparitions « inexpliquées » contribuent à créer un « climat de peur » dans le Xinjiang et alimente la polarisation ethnique.

Ce que Pékin considère comme des « activités terroristes » pourrait être compris comme un conflit ethnique entre les Ouïghours et les Han. Ce conflit repose en partie sur les disparités socio-économiques qui existent entre ces groupes ethniques ainsi que sur une division urbaine-rurale de ces groupes. Selon le recensement réalisé en 2000, 75% de la population d’Ürümqi était composée de Han pour 12% d’Ouïghours, alors que dans la préfecture de Kashgar (à la frontière avec l’Afghanistan et le Pakistan), seuls 9% de la population est d’origine Han. Le Turkistan de l’Est a longtemps été historiquement indépendant (quoique sous perfusion économique de l’URSS en 1945/1949). Le très débattu « retour pacifique » de la province du Xinjiang dans le giron de la Chine communiste en 1949 n’a certainement pas résolu le problème. Dès lors, malgré les tentatives du gouvernement central de mettre un terme aux disparités en faisant usage de politiques de déplacement de la population, les Ouïghours ne peuvent que continuer de remettre en question leur degré d’appartenance à l’Etat chinois.


*La traduction littérale de Xinjiang est « Province de la Nouvelle Frontière»

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