La réforme du droit d'asile divise en Autriche

Thierry Avice, correspondant à Vienne, Autriche
23 Décembre 2014



Alors qu’une réforme du droit d’asile français est en discussion à l’Assemblée nationale, un débat politique houleux autour de la question des réfugiés agite l’Autriche : quelles sont donc les modalités de la réforme du droit d’asile dans la république alpine, et pourquoi cette réforme provoque-t-elle une levée de boucliers ?


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Le statut du demandeur d’asile en Autriche est défini par la convention de Genève relative au statut des réfugiés en date du 28 juillet 1951. Pour mener une procédure d’asile à son terme, il doit être possible d’identifier une menace réelle pour l’intégrité physique ou pour la vie du réfugié. En ce sens, le réfugié est à différencier du migrant. 

Le droit d’asile en Autriche aujourd’hui

Quelle est la procédure actuelle d’accueil des réfugiés en Autriche ? Le réfugié doit tout d’abord formuler une demande d’asile auprès d’un « centre de premier accueil » fédéral. Des soins médicaux sont prodigués au demandeur d’asile, qui va ensuite être entendu par les forces de police. Les policiers cherchent principalement à déterminer l’identité du réfugié, son pays d’origine et le chemin emprunté lors de sa fuite. Le but de cet interrogatoire est de déterminer si l’Autriche est compétente pour traiter la demande d’asile. Un règlement de l’Union européenne - le règlement dit Dublin III - établit les règles de compétence des pays membres en matière de droit d’asile. Ainsi, ce règlement établit par exemple que le premier pays dont le réfugié franchit les frontières est compétent pour sa demande d’asile. Si le réfugié a auparavant séjourné cinq mois ou plus dans un autre État membre, cet État est compétent juridiquement.

Cette procédure de vérification juridique des services fédéraux doit être menée à son terme en moins de vingt jours ; en pratique, elle peut durer jusqu’à un mois. Durant ce laps de temps, les demandeurs d’asile sont accueillis dans des centres au sein des Länder et se voient attribuer une « carte blanche ». Cette carte prouve que le réfugié est présent légalement sur le sol autrichien.

Lorsque l’Autriche est déclarée juridiquement compétente, la procédure d’asile en tant que telle peut débuter. Le but du demandeur d’asile est d’être reconnu comme titulaire du droit d’asile. Cette procédure consiste pour l’essentiel à vérifier la validité du statut du réfugié et l’existence d’un danger réel dans le pays d’origine du demandeur, selon la définition de la Convention de Genève. Durant cette procédure, le réfugié reçoit une aide de base qui comprend notamment une assurance maladie. Les enfants des demandeurs d’asile doivent aller à l’école. Les coûts des différentes procédures et de l’aide de base sont assumés à 60% par l’État fédéral et à 40% par les Länder.

La réforme du droit d’asile en Autriche

La réforme actuelle du système d’asile autrichien a pour origine une trop faible capacité d’accueil des centres fédéraux face à l’afflux de réfugiés. Les trois centres de premier accueil existants, en Haute-Autriche, Basse-Autriche et à l’aéroport de Vienne, ne suffisent plus à répondre aux besoins. L’État fédéral a de plus voté de nouveaux quotas d’accueil de réfugiés : chaque Land doit ainsi accroître ses capacités d’accueil de réfugiés d’ici fin janvier 2015. Pour faire face à cette nouvelle configuration politique, les gouverneurs des différents Länder se sont rencontrés le 19 novembre 2014 à Klagenfurt en Carinthie et se sont accordés sur l’inauguration de sept nouveaux centres d’accueil de réfugiés. Des accords de coopération entre Länder ont été négociés, par exemple entre Vienne et le Burgenland ou entre la Carinthie et la Styrie. Des plaintes ont été exprimées par des Länder périphériques et peu peuplés comme le Vorarlberg ou le Tyrol, dont les gouverneurs considèrent que ces centres d’accueil seraient plus utiles dans des territoires plus peuplés comme dans la région de Linz ou de Vienne.

Cette réforme représente des coûts pour les Länder, qui doivent ainsi mettre à disposition des infrastructures adaptées et employer du personnel administratif, médical et policier. Un membre du parti des Verts a ainsi proposé que l’État fédéral prenne en charge seul les coûts de vérification de la compétence juridique de l’Autriche et d’aide de base aux réfugiés. L’actuelle répartition 60/40 devrait cependant être reprise par la réforme. Selon la ministre de l’Intérieur Johanna Mikl-Leitner, le principal enjeu de cette réforme n’est pas financier, mais essentiellement un problème de « bonne volonté ». 

Un débat politique, quelles interprétations ?

L’intense débat provoqué par cette réforme est certes alimenté par des problématiques financières qui attisent les tensions entre le centre et les périphéries, mais ces problématiques ne suffisent peut-être pas à expliquer cette division politique. On peut ainsi formuler d’autres hypothèses, comme celle d’une méfiance d’une tranche de la population autrichienne vis-à-vis des demandeurs d’asile, parfois désignés sous le terme « Scheinasylanten » (« soi-disant réfugiés »), terme popularisé par le BZÖ et le FPÖ, partis d’extrême droite ouvertement xénophobes. Dans cette optique, les réfugiés sont considérés comme des poids pour le système social autrichien. Les Länder refusent de financer une politique visant à favoriser l’intégration sociale et professionnelle des réfugiés, qui pourrait contrer ces préjugés. Le FPÖ combat par exemple l’idée d’une ouverture du marché du travail aux demandeurs d’asile, susceptibles, selon le parti populiste, de provoquer une concurrence déloyale pour la main-d'œuvre nationale.

Des préjugés racistes véhiculés par l’extrême droite pourraient également être à l’origine de ces réticences dans la mise en œuvre de la réforme de la procédure d’asile autrichienne. Willi Korak, membre du BZÖ, a ainsi récemment déclaré que l’Autriche n’accueillait pour réfugiés que des « Tchétchènes violents ». Le 12 novembre dernier, le FPÖ organisait une manifestation à Traiskirchen (Basse-Autriche), qui accueille un centre de premier accueil fédéral. Le mot d’ordre de cette manifestation était « das Boot ist voll » (« La barque est pleine »). On peut confronter ce slogan au vieillissement de la population autrichienne : les questions d’immigration et de politique d’asile soulèvent toujours fantasmes et contradictions. 

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