La repentance de la monarchie espagnole envers les juifs sépharades

Valentine Ouaki
8 Juillet 2014



Un pas en avant vient d’être effectué par la monarchie espagnole. Plus de cinq siècles après l’expulsion des juifs d’Espagne par les rois catholiques, le gouvernement leur ouvre enfin les bras. Explications.


Alberto Ruiz Gallardon, à l'origine de la loi. -- Crédit DR
Alberto Ruiz Gallardon, à l'origine de la loi. -- Crédit DR
Le Conseil des ministres espagnol a adopté le 6 juin dernier un projet de loi visant à accorder la double nationalité espagnole aux citoyens séfarades qui en feraient la demande. Des critères objectifs pour cette concession ont été établis. Ce projet de loi doit désormais être approuvé par le Parlement avant d’entrer définitivement en vigueur.

La volonté d’expier les erreurs du passé

La décision prise par le gouvernement espagnol est motivée par une volonté de réparation des erreurs commises par le passé. Cette logique de repentance est récente en Espagne. En 2007 est adoptée par les députés du Congrès la loi sur la mémoire historique permettant la reconnaissance des victimes de la Guerre civile et de la dictature de Franco. L’Espagne moderne et progressiste se doit, du fait du poids de son histoire, d’imposer un devoir de mémoire. Le Roi Juan Carlos déclarait en 1992 aux juifs espagnols lors de la cérémonie des 500 ans de l’expulsion des juifs d’Espagne à la synagogue de Madrid : « Ce qui importe n’est pas tant l’énumération de nos erreurs ou de nos bonnes actions, mais la volonté de projeter et analyser le passé en fonction de notre futur. » Le gouvernement, par ce projet de loi symbolique, rappelle la responsabilité de l’Espagne dans l’expulsion des juifs durant l’Inquisition.

En effet, en 1492, les Rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon signent le décret de l’Alhambra aboutissant quatre mois plus tard à l’expulsion définitive des juifs d’Espagne, mettant en application une raison d’Etat selon laquelle le fondement de l’unité espagnole serait basé sur une uniformité religieuse, celle du catholicisme. A cette date, tout juif est alors interdit de séjour sur les terres espagnoles, sous peine de mort ou de confiscation de ses biens. La communauté juive d’Espagne se disperse alors sur tout le bassin méditerranéen. Certaines copies du décret prévoient tout de même la possibilité pour les juifs de se convertir au catholicisme afin d’éviter l’expulsion, bien que cette modalité soit moins privilégiée, du fait des soupçons de préservation de certaines pratiques jugées judaïsantes.

Les modalités d’acquisition de la double nationalité

Il est cependant légitime de s’interroger sur les modalités exactes de l’octroi de la double nationalité espagnole aux juifs séfarades. Comment est-il possible, plus de 500 ans plus tard, de prouver l’ascendance espagnole de certains juifs ?

Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, musée du Prado, Madrid. -- Crédit DR
Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, musée du Prado, Madrid. -- Crédit DR
Le projet de loi adopté le 6 juin dernier prévoit la modification des articles 21 et 23 du Code Civil espagnol relatifs à l’acquisition de la nationalité espagnole. Le fait d’être séfarade devient alors une « circonstance exceptionnelle de lien avec l’Espagne » permettant la naturalisation. Selon le texte approuvé par le Conseil des Ministres, la condition séfarade pourra être reconnue par un certificat signé par la Fédération des Communautés Juives d’Espagne, le président de la communauté juive où la personne réside ou l’autorité rabbinique correspondante. Une série de critères et de documents sera étudiée au cas par cas. D’une part la langue, l’acte de naissance, le certificat matrimonial, et les noms de familles appartenant ou non à la lignée séfarade. D’autre part, pourra être exigée l’ascendance du requérant avec une liste de familles séfarades protégées par l’Espagne depuis un décret-loi de 1948. Enfin, la double nationalité ne sera octroyée qu’après la réalisation d’un test de langue et de culture espagnole à l’Institut Cervantès, hormis pour les requérants provenant de pays au sein desquels l’espagnol est la langue officielle. La demande devra se faire via une plateforme électronique dans les trois années suivant l’entrée en vigueur de la loi, sera facturée 75 euros, et donnera lieu à un rendez-vous devant un notaire.

Néanmoins, on peut se demander quel serait l’intérêt pour les juifs d’obtenir la double nationalité. Certes, cette mesure a une valeur symbolique, mais 500 ans après, les juifs séfarades en ont-ils vraiment exprimé le besoin ?

Par ailleurs, quelles sont les réelles motivations du gouvernement espagnol ? Dans un contexte de crise économique aiguë, ce dernier ne fait-il pas preuve d’opportunisme en cherchant  à attirer des juifs afin qu’ils investissent dans le pays ? L’idée-reçue selon laquelle tous les juifs viendraient avec des capitaux serait-elle ancrée dans l’imaginaire collectif espagnol ?

Un traitement inégal ?

De plus, le geste de l’Espagne envers les juifs séfarades, leur offrant la nationalité quasi automatiquement, plus de cinq siècles après l’expulsion de leurs ancêtres, ne manque pas d’attiser l’exaspération des communautés morisques, descendantes de près de 300 000 musulmans convertis au catholicisme qui furent également expulsées par la monarchie catholique en 1609, ainsi que du peuple sahraoui, espagnols de plein droit jusqu’en 1976, et aujourd’hui citoyens apatrides. Deux associations islamiques et deux autres pour les droits de l’Homme exigent un traitement égal envers ces deux communautés.

La réponse du sous-secrétaire espagnol de la Justice reste pour autant assez vague. Selon lui, la distinction entre séfarades et morisques est due au fait que, bien que les deux fussent expulsés, « les séfarades ont maintenu certains signes identitaires espagnols » que les morisques n’ont pas conservés, comme le dialecte judéo-espagnol ou ladino, empruntant au vieux castillan et à l’hébreu, toujours employé par certaines communautés séfarades, mais néanmoins en voie certaine de disparition. La majorité des juifs séfarades, du fait de la diaspora, a toutefois perdu après toutes ces années les liens culturels privilégiés qui l’unissaient à l’Espagne. Ce projet de loi de nature certes bienveillante arrive donc bien tard.

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