Le droit d'ingérence : un abus de pouvoir ?

3 Août 2014



Quand est-il justifié d’intervenir ? Certaines ONG suivent-elles les États-Unis ? Ces questions sont au coeur de la controverse que crée ce droit moral. Un outil de pouvoir pour les États et d’opportunité pour les ONG, ce droit est fortement malléable et on peine à connaître les raisons qui se dissimulent derrière une intervention.


La polémique autour du droit d’ingérence a été présente depuis sa mise en place. C’est un concept flou, qui peut être facilement utilisé et justifié par les États ou les associations. Le lexique lui-même n’est pas clair : il y a le droit et le devoir d’ingérence, ainsi que le fait qu’elle soit morale et humanitaire. Il faut tout d’abord noter que cette notion n’est en aucun cas juridique : elle n’est pas inscrite dans le droit humanitaire international et n’a pas de concept légalement défini. Ceci est déjà un problème en soi. De plus, le droit d’ingérence est le droit pour un État d’intervenir dans un pays sans le consentement de celui-ci, pour des raisons humanitaires en cas de violation de droits de l’Homme, comme avec la France en Centrafrique le 5 décembre 2013. Sensiblement différent de celui-ci, il y a le devoir d’ingérence qui désigne une obligation morale pour un État d’en aider un autre en cas d’urgence humanitaire : comme le cas d’aide de la France à l’Haiti. En outre, les ONG et les organisations internationales telles que l’ONU disposent elles aussi de ce droit/devoir. Mais d’où vient l’idée d’une intervention justifiée dans un État sans le consentement de celui-ci ?

Le droit d’ingérence n’est pas un concept nouveau. En effet, une des premières mentions d’un droit d’intervention pour un État date de 1625 quand Hugo Grotius - juriste qui posa les fondements du droit international - parle d’un “droit accordé à la société humaine” dans le cas où un tyran “ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire”. Mais c’est entre 1967 et 1970, pendant la guerre du Biafra - guerre civile au Nigéria - que cette idée s’est réellement répandue et a été mise en place. Après la non-mobilisation des États face à la crise humanitaire que créa cette guerre, certains acteurs prônèrent l’intervention. Ceci sera un moment crucial pour les associations humanitaires : beaucoup furent créées, notamment Médecins Sans Frontières, afin de pouvoir venir en aide dans ces situations. Le terme de “droit d’ingérence” fût ensuite repris par plusieurs personnalités connues comme Jean-François Revel et Henri Lévy jusqu’à être internationalement reconnu quand Bernard Kouchner -fondateur de MSF - l’a promu en 1980.

Outre les problèmes légaux que ce concept pose, l'une des principales causes de débats se penche sur l’idée de la légitimité d’une intervention.

Un devoir moral pour les États ou un outil d’obtention de pouvoir ?

Les exemples d’intervention pour des raisons morales par les États sont nombreux. Dépendant des relations entre les États et leurs alliances, chaque pays essaie à son tour de venir en aide aux populations ayant subi de graves conséquences et une crise humanitaire dû à des catastrophes naturelles. Ainsi, suite aux forts séismes en Haiti qui ont détruit une grande partie du pays et créé des problèmes sanitaires, logistiques et sécuritaires, la France s’est engagée auprès de l’Etat haïtien. Elle a annulé leur dette - qui s’élevait à 56 millions d’euros - et débloqué une aide budgétaire de 40 millions d’euros répartie sur deux ans. L’aide s’est étendue à l’envoi de dix experts pendant deux ans, auprès du Premier ministre haïtien afin d’aider à la reconstruction du pays. Un autre exemple flagrant est l’aide du Canada envers les Philippines suite au typhon Haiyan en 2013. Il a créé un module de fonds, envoyé 319 militaires - la plupart spécialisés sur de l’intervention en cas de catastrophe - qui ont aidé à purifier l’eau, procuré des soins médicaux, distribué de très grandes quantités de nourriture et de kits d’aide humanitaire, entre autres. La politique d’immigration - très restrictive en général - a été assouplie pour les philippins présents sur le territoire, ceux demandant un visa temporaire mais aussi ceux demandant un visa de résidence permanente.

Malgré ces exemples - non-exhaustifs - les interventions ont souvent un fond politique. Ainsi, beaucoup de pays justifient leur ingérence par des raisons d’aide humanitaire, mais ont un motif caché. Les exemples avec la France sont flagrants : il suffit d’analyser l’intervention au Mali ou plus récemment en Centrafrique. Dans le premier cas, la guerre civile débuta en janvier 2012 quand l’armée malienne tenta un coup d’État à la capitale et que des forces rebelles s’emparèrent de plusieurs villes dans le pays. La France décida d’intervenir un an plus tard, suite à des négociations échouées entre les différentes forces. L’opération Serval a donc été mise en place en ayant pour objectifs de repousser les rebelles - devenus une offensive de groupes armés islamistes - et sécuriser la capitale. Le 2 février 2013, les insurrections étaient contrôlées et le président François Hollande fût accueilli en tant que héros. Le même président qui, deux mois et demis plus tôt, tint une réunion avec le président nigérien pour discuter d’une intervention française au Mali afin de sécuriser les mines françaises d’uranium qui se situaient à la frontière entre le Niger et le Mali. Le même scénario s’est reproduit en Centrafrique. Une guerre civile (re)débute en octobre 2013 et la France intervient pour venir en aide à un tiers de la population en danger en décembre. L’objectif est d’éviter un génocide et que le problème se répande dans les pays limitrophes. Mais il faut noter que la RCA est très riches en ressources naturelles - que se soit en pétrole, en diamants, en or, en bois ou même en sucre ou en tabac - et qu’il y a beaucoup de grands groupes français qui y investissent. Nous pouvons trouver ce modèle aussi avec d’autres pays comme avec l’intervention du Royaume-Uni au Sierra Leone en 2000 ou encore les États-Unis en Colombie depuis les années 1990.

Ainsi, dès qu’il y a une intervention de nature politique, on peine à connaître les réelles raisons de celle-ci puisqu’il est toujours possible de trouver des motifs stratégiques ou géopolitiques, n’ayant aucun rapport avec une mission humanitaire.

Quel avantage pour les ONG ?

L’intérêt du droit d’ingérence pour les ONG est évident : il leur donne la possibilité d’intervenir en cas de crise humanitaire ou d’urgence de façon légitime et incontestable. Ainsi, la plupart des “grandes” associations sont présentes dans quasiment tous les pays nécessitant de l’aide. Mais un autre type de problème se pose : comment choisir le pays d’intervention ? Comment est-il possible de juger quel pays a des besoins plus élevés que d’autres ?

Outre les statistiques et données chiffrées permettant de faire un classement du besoin et de l’urgence, d’autres éléments sont à mettre en considération. En effet, pour la plupart des associations, leurs fonds proviennent majoritairement de dons. Pour les avoir, il faut de la visibilité, surtout sur le terrain afin de montrer les actions menées. Ainsi, dans certaines situations, on peut observer un devoir moral sélectif pour les ONG, qui vont sur place que lorsque les médias y sont présents. C’est ce qui leur est souvent reproché, d’être arrivés “après la catastrophe”. Ceci est notamment visible en Irak. La situation politique était très instable depuis les années 1980, et malgré des besoins humanitaires urgents sur plusieurs points - notamment des réfugiés - la plupart des associations humanitaires ne sont arrivées en Irak qu’en 2003, après l’invasion étasunienne et quand le sujet était au centre médiatique. Cette action pose aussi des questions sur la neutralité des associations, qui semblaient suivre les États-Unis - comme on a pu l’observer en Afghanistan - plutôt qu’assouvir les besoins des populations. C’est pour ces raisons que dans certains pays, les associations sont très mal accueillies, vues comme des espions des “grandes puissances occidentales”, et sont ainsi attaquées, bombardées et expulsées du pays.

Malgré son bon fondement, le droit d’ingérence est un sujet délicat, qui entraîne des polémiques. Il est essentiel pour pouvoir aider les populations et les pays, surtout face à des catastrophes naturelles ou à des troubles politiques, mais il est aussi sujet à plusieurs interprétations. Ainsi, que se soit pour les États ou associations, les raisons d’intervention ne sont jamais claires et sont facilement contestables. Machiavel disait que la fin justifie les moyens. Dans ce cas, la fin serait-elle l’aide aux populations ou les raisons secondaires ?

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Carolina Duarte de Jesus
Arrivée en France il y a quatre ans, j'ai entamé des études de Science-Politique. Les relations... En savoir plus sur cet auteur