Le football Nord-chypriote seul au monde

Barthelemy Gaillard, envoyé spécial à Nicosi
24 Juin 2013



Chypre vit depuis quarante ans coupée entre le Sud, grecophone et reconnu sur la scène internationale, et le Nord, turcophone, complètement ostracisé. La vie quotidienne subit cette division et le foot n'échappe pas à la règle. Si côté grec les clubs et l'équipe nationale sont bien intégrés dans le football internationalisé, côté turc la situation est plus compliquée.


Crédit Photo -- cfa.com.cy | uefa.com
Crédit Photo -- cfa.com.cy | uefa.com
Un bâtiment flambant neuf érigé au beau milieu d'immeubles fatigués, la fédération de foot chypriote turque (FFCT) sait se faire remarquer. Mais derrière la vitrine attrayante, l'immeuble est en fait quasiment inhabité. Ils sont en tout et pour tout cinq salariés à arpenter chaque jour les couloirs d'un blanc clinique. Le bureau de l'accueil déserté, les bureaux délaissés, il faut se démener pour trouver Orçun Kamali. Le « responsable des relations extérieures » tire toutefois une grande fierté de ces locaux surdimensionnés: « Nous méritons des équipements dignes d'une vraie organisation. »

La FIFA préfère Gibraltar

Difficile cependant de lier des relations extérieures pour cette fédération non reconnue par la FIFA et privée de matchs internationaux. Comme un diplomate sans ambassade, Orçun Kemali est condamné à une position d'infériorité « très frustrante », au même titre que le football nord-chypriote tout entier. Amer, il raille les instances internationales, « Quand je pense qu'ils viennent d'accepter Gibraltar ! »

Du regard, il désigne l'armoire à trophées. Sur les coupes clinquantes alignées sont gravés les titres évocateurs remportés par l'équipe nationale: la plus imposante rappelle le trophée de la Ligue des Champions. Il s'agit en fait de la coupe de Londres remportée face à l'obscure équipe de « la communauté des chypriotes turcs » de la capitale anglaise.

Chypre du Nord vs Cameroun du Sud

Au même titre que l'Irak du Nord, l'Occitanie, le Zanzibar ou encore le Cameroun du Sud, les Nords chypriotes sont membres de la très alternative NFB (New Federation Board). Cette organisation très underground permet à l'équipe de voyager et de conserver un niveau qu'Orçun Kamali juge honnêtement « équivalent à la troisième division du championnat chypriote. » Un championnat dont les chypriotes turcs ont été bannis en 1955. A l'époque, c'est la puissante Église orthodoxe qui était propriétaire des stades du pays. Elle en a alors interdit l'accès aux joueurs d'autres confessions. Ce geste éminemment politique a fermé la porte du haut niveau aux joueurs du Nord en grande majorité musulmans, obligés de créer leur propre championnat, non reconnu à l'étranger. « Quelques joueurs vraiment talentueux sont encore acceptés, mais la plupart jouent dans la partie Nord. Comment voulez-vous progresser et rester motivé quand la victoire en championnat ne vous permet pas de jouer de coupe d'Europe, de rencontrer des adversaires plus forts ? » lance Orçun Kamali, fataliste.

Seules six équipes disputent le championnat nord chypriote. Le niveau baisse inexorablement, les équipements se dégradent en même temps que la condition physique des joueurs. Mais « ce sont aussi les arbitres, les entraîneurs, toute la vie de ce sport resté très populaire dans la population qui décline », selon le membre de la fédération.

La seule solution pour sortir de l'impasse serait donc d'unir le football chypriote. La tâche est difficile dans un contexte de conflit politique gelé. Orçun Kamali participe à des négociations avec la CFA (Cyprus Football Association), la fédération sud-chypriote, entamées en Novembre 2012. Au mois de Juin, les deux parties devraient se retrouver pour signer un accord.

Mais Orçun Kamali ne se fait guère d'illusions. Une première tentative avait échoué en 2008 « toujours pour la même raison, la politique. » A l'époque, les nords-chypriotes avaient débauché Jérôme Champagne, un diplomate français proche de la FIFA chargé de mener les pourparlers. Mais selon les termes de l'accord, l'équipe du Nord devait passer par la fédération du Sud pour jouer des matchs officiels à l'étranger. Une condition qu'Orçun Kamali juge encore aujourd'hui inacceptable. « Je veux que notre football soit reconnu comme turc chypriote, c'est bien ce que nous sommes, non ? ». Le responsable des relations extérieures s'adoucit et jette un regard au portrait de son fils qui orne son bureau. « Il voudrait jouer pour l'équipe nationale, j'espère qu'il pourra un jour porter le maillot et jouer dans le monde. »

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