Le marché des mères porteuses en Inde

Auriane Guiot
10 Juillet 2015



Chaque année, environ 25 000 couples étrangers se rendent en Inde pour utiliser les services de mères porteuses, ce qui représente plus de 2 000 naissances par an. Fin 2012, une loi interdisant aux célibataires et couples homosexuels de faire appel à des mères porteuses a été votée dans le pays, alors que celui-ci a dépénalisé l’homosexualité en 2011.


Crédit Mansi Thapliyal / Reuters
Crédit Mansi Thapliyal / Reuters
Les conditions de vie et la législation indienne autour de cette question ont changé depuis quelques années, mais la motivation des femmes qui louent leur ventre demeure la même.

Une vie souvent cachée

En Inde, les mères porteuses font en sorte de taire leurs pratiques. Souvent pauvres, elles optent pour cette solution par dépit, pour faire une rentrée d'argent. Mais cela n’est pas sans conséquences : lorsque leurs familles apprennent leur mode de vie, nombre d’entre elles se retrouvent abandonnées. Au choc psychologique qu'implique la perte de l’enfant qu’elles portent peut donc s’ajouter le rejet de la famille.

Dans les cliniques, ces femmes peuvent être jusqu’à dix dans la même chambre, ruinant ainsi tout espoir d’obtenir l'intimité que peut demander une grossesse. Les règles de vie au sein de ces établissements sont strictes. Si les mères porteuses sont nourries et logées, elles doivent répondre à des règles imposantes. En cas de complications ou de mise en danger de la vie de la mère porteuse, ni le médecin, ni l’hôpital ne peuvent être tenus responsables.

L’espoir d’un jour revoir leur bébé ou ne serait-ce qu’avoir des nouvelles s’envole dès lors où les parents viennent le chercher. Les cliniques ne fournissent pas d’acte de naissance aux parents adoptifs, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas connaître l’identité de la mère porteuse, ni même espérer entrer en contact avec elle. Si les femmes qui louent leur ventre ont conscience de cette réalité, l'instinct maternel peut parfois prendre le dessus et compliquer les choses. Certaines d’entre elles vivent mal le fait d’être séparée de leur enfant.

L’association Sama basée à Delhi, en partenariat avec All India Democratic Women’s Association, œuvre en faveur de la santé et des droits des femmes en Inde. Leurs efforts améliorent effectivement les conditions de vie des femmes, mais celles des mères porteuses sont loin d'être satisfaisantes.

Une usine à bébés

La gestation pour autrui est devenue un marché florissant depuis 2002, année où elle a été autorisée dans le pays. Dans la province du Gurujat, à Anand, une clinique spécialisée dans cette pratique a été créée en 2013 par le docteur Nayna Patel déclarant « offrir leurs services aux patients qui en auraient besoin. » Contacté par nos soins, le docteur Patel n’a malheureusement pas donné suite à nos questions.

le Dr Patel et des mères porteuses de sa clinique- Crédit : SWNS
le Dr Patel et des mères porteuses de sa clinique- Crédit : SWNS
En dix ans, ce sont près de 700 enfants qui sont nés dans son établissement. En moyenne, 100 femmes sont enceintes en même temps, à des stades de grossesse différents. Pour augmenter les chances de réussite, deux voire trois embryons sont implantés ; une réduction embryonnaire peut ensuite avoir lieu selon le désir des clients. L’activité de cette clinique est tellement importante qu’elle est désormais surnommée « le hub mondial du bébé ».

L’incompatibilité avec les gouvernements étrangers

En 2010, un homme homosexuel a fait appel aux services de mères porteuses indiennes et est devenu le père de deux jumeaux. Aujourd’hui, il est encore en conflit judiciaire avec le gouvernement qui a placé les jumeaux en famille d’accueil une fois de retour en France.

Si cette pratique est interdite en France par la loi n°94-653 du 29 juillet 1994, elle l’est également dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, le Luxembourg ou encore l’Autriche. Malgré ce constat, l’Inde accepte de laisser partir les bébés nés de mères porteuses alors qu’ils seront sûrement séparés de leurs parents adoptifs une fois dans leur nouveau pays. Les parents adoptifs ne peuvent pas faire valoir leurs droits sur les enfants, étant donné que les cliniques indiennes ne leur délivrent pas de certificats de naissance.

Face à ces interdictions, les couples prêts à avoir des enfants n’ont pas peur de prendre le risque. En Europe, la Roumanie est le seul pays où la GPA est légale et rémunérée. Un circuit illégal est par conséquent susceptible de se mettre en place. Malgré tout, certains couples préfèrent aller en Inde pour trouver leur nouvel enfant. Aux États-Unis, un couple a usé des services de mères porteuses indiennes après avoir perdu leur fille. Ils racontent leur histoire sur leur blog Welcoming a heartbeat to our family.

L’interdiction aux célibataires et aux couples homosexuels

La loi interdisant le recours à la GPA pour des célibataires ou des couples homosexuels a été adoptée fin 2012 en Inde. Celle-ci stipule que seuls « un homme et une femme, mariés depuis au moins deux ans » peuvent avoir recours à ce service. Alors que les militants pour les droits des homosexuels dénonçaient une mesure discriminatoire, les nouvelles règles indiennes étaient transférées aux ambassades étrangères fin 2012.

L’objectif de cette loi est de freiner un marché procréatif croissant. Beaucoup de couples se tournent vers l’Inde car cette pratique est interdite dans leur propre pays, notamment en Europe, ou parce que les règles, les contrôles et coûts sont plus importants, comme c'est le cas aux États-Unis. En Inde, il faut compter entre 2 000 à 8 000 dollars pour ce service, contre un coût deux à trois fois plus élevé aux États-Unis.

Forte de sa réputation, de ses prix concurrentiels ainsi que de la qualité de ses services, l’Inde s’est vu attribuer le surnom de « la Mecque du tourisme procréatif » ces dernières années.

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