« Le sport c’est la guerre, les fusils en moins »

9 Avril 2013



Georges Orwell résume parfaitement par cette citation la situation actuelle entre la Croatie et la Serbie. Tout affrontement sportif impliquant ces deux sélections face à face suscite une haine collective, en souvenir de la guerre des Balkans entre 1991 et 1995. Aucune de ces deux patries ne semble se remettre des horreurs du passé. Les revendications extrémistes sont au rendez-vous, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du nationaliste serbe Tomislav Nikolic en 2012.


« Le sport c’est la guerre, les fusils en moins »
22 mars. Serbie/Croatie. L’enjeu de ce match ? La qualification à la Coupe du monde de football prévue pour 2014. Depuis plusieurs semaines, les deux pays sont sous haute tension, autant pour ceux qui se revendiquent « hooligans » que pour ceux qui craignent cette violence. Les médias ont relaté cet affrontement en masse, ce match n’étant pas seulement sportif, mais relevant également d’un enjeu politique. La victoire de l’un suppose sa force et sa suprématie sur l’autre. Une idée véhiculée dans les chants hooligans entonnés à l’intérieur du stade comme à l’extérieur. La FIFA et l’UEFA n’ont cessé, jusqu’à la rencontre, d’interpeller ces deux fédérations pour les obliger à lutter contre la violence de leurs supporters. Pour éviter tout dérapage, les autorités croates et serbes ont pris le soin de ne pas organiser les déplacements de leurs supporters et de renforcer la sécurité habituelle. Les patrouilles de police étaient présentes, tandis que les trams et les taxis étaient bloqués.

Un dispositif semblable est mis en place pour chaque rencontre sportive entre ces deux pays, que ce soit au handball, au water-polo, au tennis ou autre. L’enjeu est de taille car malgré ce contentieux historique, la Croatie semble renforcer son image depuis l’éclatement de l’ex-Yougoslavie grâce à ses nombreuses victoires sportives. Prenons l’exemple du handball : l’équipe croate masculine a remporté deux titres Olympiques en 1996 et 2004, un titre mondial et sa place sur beaucoup de podiums, contrairement à l’équipe serbe. Soit un rapport de force qui ne cesse de raviver les passions entre les supporters. Dans ces conditions, le dispositif de sécurité est renforcé, incitant les supporters adverses à ne pas se rendre dans le pays voisin pour assister aux matchs. Il est certain que si les hooligans des deux fédérations se retrouvent au sein d’un même stade sans la surveillance de vigiles ou des forces de l'ordre, cela aura des conséquences dramatiques. Une confrontation directe pourrait être rapidement mortelle.

Les groupes les plus violents se trouveraient majoritairement en Serbie, avec les Grobari du Partizan de Belgrade ou encore les Ultras Red Star de l'étoile Rouge. Par leurs idéaux nationalistes et extrémistes, ils cultivent une ferveur virulente pour leur équipe, au point d’en oublier le respect de leurs adversaires, comme en témoigne l’affaire de Brice Taton. Lui et ses amis s’étaient déplacés lors de la rencontre, en septembre 2009, pour assister au match de foot opposant l’équipe de Toulouse au Partizan de Belgrade. Peu de temps avant le match, les Français sont agressés par des supporters serbes dans le centre de la capitale. Brice Taton, âgé alors de 28 ans, succombera à ses blessures. Le chef présumé des hooligans serbes, Djordje Prelic, à l’origine de ces violences, aurait été arrêté en février dernier en Espagne.

Il est évident que la Croatie comporte également son lot de supporters extrémistes, alimentant cette violence dans les stades. Le Journal International a pu poser quelques questions à l’un des membres du groupe « Kohorta Osijek », mouvement hooligan croate, pour mieux comprendre leur idéologie.

Comment et pourquoi avez-vous rejoint ce mouvement ultra ?
Mon père m’a initié au football quand j’étais petit. J’ai adoré, surtout l’atmosphère. Et quand j’étais adolescent, j’ai rejoint ce groupe. 

La création de ce mouvement a-t-elle un lien avec l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de la guerre qui a suivie ?
Non. Le mouvement en Yougoslavie a commencé plusieurs années auparavant. Par exemple, le groupe le plus vieux en Europe est Torcida Split, créé en 1950. D’autres groupes plus officiels ont été créés au milieu des années 80. Dans les dernières années de la Yougoslavie, la haine entre les Serbes et les Croates était grande, et il y avait plusieurs émeutes fondées sur une haine nationale. Quand la guerre a commencé, des Croates venant de ces groupes ont échangé les écharpes de foot contre des armes. Ils ont arrêté d’assister aux matchs de foot pour participer à cette guerre et pour défendre leur terre face à l’ennemi serbe. 

Etant Croate, pouvez-vous m’expliquez pourquoi les tensions avec la Serbie sont toujours autant présentes actuellement ?
Les tensions avec la Serbie ont toujours été grandes, surtout dans le monde du football avec ses supporters. C’est pourquoi ils interdisent l’accès aux fans croates ou serbes dans les stades.

Ressentez-vous le besoin de revendiquer un sentiment nationaliste face à la Serbie ? Si oui, pourquoi ?
Non, nous ne faisons pas ça à cause des Serbes. Nous sommes fiers de notre pays et de tous les groupes ultras en Croatie qui ont raison de se battre. Ce n’est pas une forme d’extrémisme, nous adorons juste montrer notre patriotisme et notre nationalisme. Nous aimons nos villes et notre pays, mais nous ne détestons pas les autres nations. Pour autant, plusieurs de nos membres sont morts pendant la guerre de 1991. Nous ne les oublierons jamais et nous ne deviendrons jamais amis avec les Serbes.
 
Pourquoi avez-vous besoin d’utiliser la violence pour vous faire entendre ?
Nous n’en avons pas besoin mais la violence et les rivalités ont toujours fait partie du football. C’est également la même chose en Europe et dans le monde, pas seulement en Croatie.

Votre mouvement ne serait-il pas cependant une forme de racisme envers la Serbie, notamment en raison de la guerre ?
Non ce n’est pas du racisme. Le racisme existe entre les personnes blanches et noires, c’est-à-dire entre les races. Nous et les Serbes sommes deux peuples blancs. La haine entre nous est nationale. Nous détestons les Serbes parce qu’ils ont attaqué notre pays, tué nos pères, nos amis et ont voulu prendre notre territoire pour en faire « Une grande Serbie ». Pour nous Croates, c’est important de montrer notre amour pour la Croatie et la nation, car nous n’avions pas notre propre pays avant 1991. Beaucoup sont morts pour obtenir l’indépendance de notre pays. Nous sommes certes, un petit pays, mais nous en sommes très fiers.

Peut-on comparer votre mouvement à celui des hooligans ? Si ce n’est pas le cas, comment le définiriez-vous ?
Les Ultras s’apparentent aux hooligans, ce n’est pas séparé. »

De nombreux théoriciens distinguent le mouvement hooligans développé en Angleterre et celui développé dans les pays de l’Est. Selon eux, les revendications extrémistes dans l’Europe de l’Est ne se sont pas formées seulement dans un contexte de crise sociale, économique ou politique. Un enjeu nationaliste et identitaire était présent, dû en partie au passé de ces pays et à la mémoire qui en découle.
C’est ainsi que les équipes croates et serbes continuent de s’affronter, sous les chants nationalistes de la plupart de leurs supporters. Les plaies du passé ne semblent toujours pas cicatrisées, au point d’avoir instrumentalisé les stades en lieu d’affrontement.

Notez


Clémentine Brault
Passionnée par le monde du théâtre et du journalisme, je poursuis également des études de Droit. Je... En savoir plus sur cet auteur