Maroc : la pédophilie au coeur

15 Mai 2013



La population marocaine s'est émue et a fortement réagi après le viol de Wiam, une jeune fille de 10 ans. Pour l'association « Touche pas à mon enfant », c'est l'occasion de modifier une loi archaïque et de remédier à un fléau d'envergure. Entretien avec son directeur administratif, Hicham Kennoudi.


Crédit Photo -- Thinkstockphotos
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« Abuser sexuellement d’un enfant est un crime, l’ignorer est un sacrilège ».
 
Pédophilie, viols, abus et exploitation sexuels, l’association marocaine «touche pas à mon enfant» mène une lutte pour la protection des mineurs. Fondée en 2004 par Najat Anwar, l’association se bat pour que les enfants puissent bénéficier de leurs droits fondamentaux et d’une protection contre toutes formes de maltraitance.
 
Pour ce faire, l’association développe une double stratégie : d’une part, un outil pédagogique pour susciter l’éveil des enfants et d’autres parts, une aide aux victimes, la défense de leurs droits, et des campagnes de sensibilisation à travers le Maroc dans les écoles, les centres éducatifs ou encore les colonies de vacances.
 
La population marocaine aussi a décidé de s’élever contre ces violences sur mineurs. Le dimanche 5 mai, s’est déroulée à Casablanca une marche blanche contre les atteintes aux droits des mineurs après l’agression d’une petite fille, Wiam, dans le nord-ouest du Maroc, le 16 avril dernier.

Pour la « criminalisation effective et sévère de la pédophilie »

Organisée à la suite d’un appel d’un collectif d’artistes et de personnalités marocaines, la manifestation s’est tenue en soutien à la petite Wiam violée par un voisin de 45 ans et ensuite battue à coups de faucille dans un douar à proximité de Sidi Kacem. Défigurée, la petite fille d’à peine 10 ans a pu être hospitalisée dans une clinique privée de Casablanca grâce à l’engagement de l’actrice Amal Essaqr.
 
L’ONG « Touche pas à mon enfant » se réjouit de l’initiative de cette marche blanche et de l’implication d’artistes marocains dans le comité d’organisation : « Nous avons émis un communiqué pour inviter l’ensemble des intervenants à participer à l’organisation d’assises de l’enfance ».
 
La prise de conscience de ce phénomène au sein de la société marocaine a conduit des milliers de personnes sur la corniche de Casablanca pour interpeller et sensibiliser les autorités sur la nécessité d’une nouvelle loi.
 
« Nous avons réclamé à plusieurs reprises la nécessité de réformer la loi. Par exemple, il faudrait évoquer clairement la pédophilie et ne plus se contenter de propos évasifs comme attentat à la pudeur », nous explique Hicham Kennoudi, directeur administratif de l'association « Touche pas à mon enfant ».
 
Rachid Roukbane, président du groupe parlementaire du progrès et du socialisme (PPS) à la Chambre des représentants, a demandé à Karim Ghellab, président de la Chambre, la programmation, à l’ordre du jour de la commission de la justice, de la législation et des droits de l’Homme, d’une proposition de loi visant à alourdir les peines à l’encontre des pédophiles.
 
La proposition de loi a pour but d’amender certains articles du Code pénal, jugés inefficaces et de reconnaître les actes pédophiles comme des crimes,  ce qui entrainerai un alourdissement des peines.
 
La loi proposée prévoit des peines de réclusion pour toute agression sexuelle ou tentative d’agression sur mineurs avec des peines plus importantes s’il s’agit d’un membre de la famille, le tuteur ou un fonctionnaire religieux. Une lourde amende pour les personnes incitant, encourageant et facilitant l’exploitation d’enfants mineurs à des fins pornographiques est également prévue.

Un phénomène en recrudescence

Le cas de la petite Wiam n’est pas isolé. « Nous déplorons qu'un malencontreux cas de la petite fille, Wiam, vienne susciter cette prise de conscience. Bon nombre de victimes n'ont pas le privilège de bénéficier d'un suivi médiatique aussi considérable ». Il est difficile de rendre compte des statistiques du nombre de victimes à cause de la précarité sociale, la lenteur des procédures ou encore l’ignorance et le silence par tabou social. Les associations ne peuvent recenser que les cas qui frappent à leurs portes.
 
Depuis une dizaine d’années, ce fléau semble s’accentuer. « Les destinations classiques des pédophiles comme les pays asiatiques ont été délaissées pour diverses raisons: les aléas climatiques (risque de tsunami), la distance entre le continent asiatique et le continent européen… ».
 
L’association ne nie pas pour autant que cette mondialisation de la pédophilie ne fait qu’accentuer un phénomène déjà présent au Maroc.

Double injustice pour les mineurs victimes de viol

L’affaire Wiam rappelle le traitement subi par Amina El Filali, contrainte par ses parents à épouser son violeur en mars 2012. Elle s’est suicidée à la suite de son mariage.
 
L’article 475 du code pénal, en débat, précise que le violeur peut épouser sa victime pour sauver l’honneur de la famille et échapper à la prison.
 
La loi marocaine et la religion consacrent la virginité de la jeune femme jusqu’au mariage. L’union après un viol est ainsi le moyen de lever la honte qui s’abat sur la famille de la fille violée. L’agression sexuelle est encore vécue comme un tabou au Maroc.
L’avocat de la famille d’Amina El Filali dénonçait cette loi et rappelait que « la place du violeur doit être en prison. » Selon lui, « il faut changer cette façon de penser et arrêter de réduire l’honneur d’une femme à son hymen. »
 
En janvier 2013, le gouvernement s’était prononcé en faveur de l’abrogation d’un alinéa de l’article en question. Le violeur ne devait plus avoir la possibilité d’épouser sa victime en vue d’éviter la condamnation. « La modification de l'article 475 de loi pénale dans sa deuxième moitié est un début en soi ». Même si une réforme de la loi en profondeur est nécessaire.
 
L’ONG « Touche pas à mon enfant » insiste sur le fait que « la pédophilie n'est pas le seul fléau en recrudescence qu'il va falloir combattre. Les agressions, les abus et l'exploitation sexuels devraient impérativement faire partie des phénomènes à éradiquer».
 

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