Mexique : une liberté d’expression en déclin

Virginie Urios, correspondante à Mexico
21 Avril 2015



Le 15 mars 2015, Carmen Aristegui, journaliste mexicaine populaire travaillant pour la chaîne de radio MVS, est renvoyée suite à l’annonce de son soutien à MexicoLeaks. En comparaison à l’ère Felipe Calderon, les agressions contre les journalistes ont doublé sous l'administration d’Enrique Peña Nieto.


Crédit Octavio Gómez
Crédit Octavio Gómez
Il est peu commun de voir au Mexique ce que l’on appelle le journalisme d'investigation. Carmen Aristegui était l’une des seules journalistes à s’être lancée dans le Watchdog, pratique peu répandue, et à avoir créé des unités spéciales d’investigation. Sa volonté de dénoncer les actes de corruption du gouvernement en place lui avait déjà valu un renvoi en 2011. Elle a ensuite refait parler d’elle lors de son projet dénonçant la possession par la Première dame d’une maison d’une valeur de 7 millions de dollars. Même si, selon la femme du président, cet argent venait de son salaire comme actrice de telenovela, des enquêtes ont prouvé la présence d’un conflit d’intérêts dans cette affaire dite de « la Casa Blanca ». Avant cette révélation, le gouvernement de Peña Nieto avait déjà été ébranlé par la mort des 43 étudiants à Ayotzinapa, qui laisse planer des doutes sur l’implication du maire. Encore avant cela, la cote de popularité de Peña Nieto avait largement baissé suite aux évènements de Tlatlaya où des généraux de l’armée étaient impliqués dans la mort de 22 civils. 

Ces trois sujets, bien évidemment couverts et révélés par Carmen Aristegui et son équipe, ont réussi à mettre à mal le gouvernement de Peña Nieto. Si le journalisme d’investigation se fait habituellement par le moyen de la presse écrite, Aristegui se servait de la radio et de son émission Noticias qui était parmi les plus écoutées du pays. Le 10 mars 2015, lors de son émission, elle affirme son soutien à une plateforme internet nommée MexicoLeaks

Cette plateforme a été créée dans le but de dénoncer des actes de corruption dans le pays. Il ne s’agit pas d’une organisation, mais seulement d’une alliance des organisations de la société civile et des moyens de communication indépendants. Elle permet aux citoyens de divulguer des informations d’intérêt public. Une fois les informations sur le site, les journalistes peuvent s’en emparer pour dénoncer d'éventuels actes de corruption grâce à leurs articles. Si l’on peut penser que cette plateforme est positive pour la participation citoyenne et pour la construction d’une société juste et démocratique, elle a valu le licenciement de cette journaliste. Si l’antenne MVS a justifié sa décision par l’impossibilité de servir des intérêts particuliers qui n’avaient rien à voir avec le journalisme de l’entreprise, des soupçons portent à croire que le gouvernement serait derrière son renvoi.

Une situation difficile pour les journalistes

La situation au Mexique peut parfois être difficile à  comprendre pour les étrangers. Il est nécessaire de savoir qu’en ce moment, les journalistes, les défenseurs des droits humains, les blogueurs où encore les dirigeants sociaux encourent un grand risque dans leur volonté de dénoncer ou même seulement de critiquer. Si les journalistes pensaient avoir franchi une étape dans la démocratie et la liberté d’expression, les événements récents nous montrent au contraire un violent retour en arrière après des années de travail. Les Mexicains, qui pensaient que leur pays et leur société avaient repoussé les limites de la liberté d’expression, font aujourd'hui part de leur tristesse et de la peur des journalistes, devenue chronique, dans l’exercice de leur fonction. La censure fait désormais partie de leur travail et leur sécurité n'est même pas assurée. 

Le journalisme indépendant, comme pouvait l’exercer Carmen Aristegui, est devenu une épine dans le pied du gouvernement. La présence des journalistes d’investigation au Mexique, auparavant infime, est aujourd’hui devenue quasiment inexistante. Quand bien même un journaliste écrirait un article dénonçant des actes de corruption ou contraires aux droits de l’Homme, qui accepterait de le publier ? Comment ne pas avoir peur? Dix journalistes ont été assassinés durant les deux premières années du sextenat de Peña Nieto et 326 agressions ont été recensées au cours de l'année 2014. En tout, 82 journalistes sont morts durant les deux dernières décennies.

Le journalisme mis à mal par sa crainte du gouvernement

La possibilité de révélations par Mexicoleaks a suscité de nouvelles inquiétudes au sein du gouvernement. Grâce à cet outil, les citoyens peuvent devenir acteurs et prendre part aux débats publics majeurs. Cette plateforme, en dénonçant les travers de leur pays, peut susciter leur intérêt et leur donner accès à l’information. Mais cette perspective effraie : gouverner des citoyens qui ont accès au savoir est plus difficile que de gouverner une population tenue à l’écart de toute 'information. 

Cette plateforme peut notamment permettre d'exposer des informations compromettantes. Si cela est une grande opportunité pour les citoyens, le gouvernement y voit une menace. Les zones d’ombres en relation avec l’affaire Aristegui concernent les raisons qui auraient pu pousser le pouvoir à provoquer sa chute. La paranoïa du gouvernement mexicain empêche véritablement le moindre travail journalistique et bafoue également le droit collectif à l’information.

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