Népal : la Cour Suprême ne veut pas d'un nouveau président

Marine Denis et Clément Comis
3 Février 2014



La Cour Suprême népalaise a récemment repoussé la tenue de l’élection présidentielle de la République du Népal. Ram Baran Yadav, son premier président, a été élu en 2008 par l’Assemblée constituante dans un contexte politique plutôt litigieux.


© AP
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Le 23 janvier, la Cour Suprême du Népal a jugé inutile la tenue d'un scrutin pour l’élection d’un nouveau président. De 2008 à 2012, l’Assemblée constituante népalaise a tenté d’élaborer une Constitution définitive, en vain. S’ensuit aujourd’hui, une crise constitutionnelle profonde ralentissant la transition de cette nouvelle république peu médiatisée qui souhaite passer d’une monarchie constitutionnelle à une république fédérale et démocratique.

Plus de deux mois après une élection parlementaire entachée par des accusations de fraude de la part du parti maoïste désormais minoritaire, l'assemblée nouvellement élue chargée de rédiger la nouvelle constitution a tenu sa première réunion mercredi à Katmandou. Si les menaces de débordements des partisans maoïstes semblent toujours latentes, le parti a finalement rejoint les autres formations en promettant de parvenir à un accord dans les 12 prochains mois. La plus jeune république au monde doit pour achever sa transition démocratique s’ériger au milieu des vestiges d’un passé maoïste et monarchique encore visibles.

Une élection repoussée dans un cadre d’échec politique

Le nouveau président ne devrait être élu qu'après la promulgation de la nouvelle Constitution. Ram Baran Yadav, élu président en 2008 après l'abolition de la  monarchie constitutionnelle et la déclaration de la république au Népal, doit sa longévité aux difficultés que rencontre l’Assemblée constituante à s’accorder. Le mandat originel de deux ans s’est prolongé au fil des reports d’élections jusqu’à plus de cinq années après son investiture.

Fruit des balbutiements démocratiques de la jeune République himalayenne, l’Assemblée constituante déduit son caractère intérimaire de son but premier : la normalisation politique. Il est nécessaire de replacer ces éléments dans le processus de transition opéré au Népal depuis la signature de l’accord de paix entre la guérilla maoïste et le gouvernement qui a mis fin en 2006 à une guerre civile décennale.

Alors que le pays était encore une monarchie constitutionnelle, le gouvernement népalais a dissout, le 22 mai 2002, la Chambre des représentants afin d’organiser des élections législatives anticipées. Les rebelles maoïstes ayant menacé de perturber le déroulement des élections, le Premier ministre Deuba a demandé au Roi Gyanendra de repousser le scrutin d’un an. À la suite de reports successifs et de l’impossibilité pour le Parlement de siéger, le Roi Gyanendra a accepté de rétablir la Chambre, au lendemain d’une vague de manifestations populaires exigeant la tenue d’élections dans les plus brefs délais.

Un Parlement de transition lui a succédé en janvier 2007, jusqu’à ce que puissent se tenir les élections de l’Assemblée constituante. La tâche assignée était alors de rédiger une nouvelle Constitution et d’être l’organe législatif intérimaire du pays pour une durée de deux ans.

Ram Baran Yadav | © Indiver
Ram Baran Yadav | © Indiver
La première Assemblée constituante, élue en avril 2008 était composée de 601 membres dont une majorité relative maoïste et plus de 30 partis représentés à l'Assemblée. Malgré quatre prolongations du mandat parlementaire, un accord sur une nouvelle Constitution n'a pu être trouvé, en particulier en ce qui concerne les modalités de la restructuration du gouvernement fédéral. Par conséquent, la première Assemblée constituante a finalement été dissoute en mai 2012 laissant le Népal sans législateur ni organe de rédaction de la constitution en vigueur pendant plus d'un an.

Le processus de rédaction de la nouvelle Constitution entamé le 15 janvier 2007 permet au Népal de se donner les moyens d’une transition globale, pour ce qui est de la consolidation de la paix et d’une réforme politique de plus long terme. Un tel processus permettrait d’envisager une consolidation de l’intégration des maoïstes minoritaires dans le courant politique dominant et de statuer définitivement sur l’avenir d’une monarchie qui reste présente dans les esprits.

Le Népal doit faire face aux fissures ethniques, régionales et de castes qui risquent de diviser un État unitaire sous le régime monarchique. Face à ces divisions, la question du fédéralisme est au centre des débats sur les termes de la Constitution, institutionnalisant les différentes identités de la nation népalaise. Un antagonisme croissant entre hautes et basses castes ainsi qu’entre les différentes ethnies est révélateur des spécificités historiques et culturelles du pays.

Un régime politique en pleine construction

Le Népal, petit pays entouré des deux géants que sont la Chine et l’Inde, vit une histoire politique tumultueuse depuis 1996, date à laquelle les rebelles maoïstes du parti communiste népalais ont entamé une lutte révolutionnaire armée contre le régime monarchiste au pouvoir depuis 240 ans. La lutte maoïste s’est amplifiée avec l’intervention de l’armée nationale et la décision du Roi en 2005 de reprendre en main le pouvoir exécutif, provoquant une nouvelle série de troubles. La guerre civile a duré 10 ans et fait environ 16 000 morts avant la reprise du pouvoir par le corps civil. Sous la pression de l’Inde, les partis politiques népalais et les maoïstes sont finalement parvenus à signer des Accords de paix. Trois conditions à cela : la réintégration des combattants maoïstes dans l’armée nationale, la rédaction d’une nouvelle Constitution et la mise en place d’un gouvernement par consensus.

Les maoïstes ont également exigé également la fin de la royauté afin d’instaurer une République fondée sur des partis politiques construits et démocratiques. La première Assemblée constituante du Népal jugée crédible et démocratique élue en avril 2008 a été une véritable victoire pour les maoïstes qui ont emporté 229 sièges sur 601. Toutefois, les gouvernements de coalition qui se sont succédés depuis cette première élection connaissent de véritables difficultés à maintenir un dialogue politique et démocratique entre les différentes formations politiques du pays, les tensions entre maoïstes au pouvoir avec le Parti du Congrès, la plus vieille formation politique du pays. Considéré comme conservateur, le parti du Congrès népalais avait condamné les différents mouvements populaires de lutte pour les droits civiques et rejeté le dialogue sur l’égalité entre les ethnies népalaises, le droit des femmes et des intouchables. Et si le processus de réconciliation politique interpartis s’est enlisé, la réconciliation nationale interethnique est également en proie à de nombreuses difficultés. Ce contexte politico-social fébrile et incertain influence de façon l’économie népalaise, qui a vu récemment son produit intérieur brut chuter à son niveau le plus bas depuis 6 ans.

Marquée par dix ans de guerre civile et six ans de crise constitutionnelle, la situation au Népal est préoccupante mais pas perdue. La jeune République himalayenne est en pleine construction de son système politique et doit composer sur fond de conflits interethniques et de violence latente. Elle ne pourra agir seule et les Népalais sont en droit d’attendre de la Cour Suprême du Népal qu’elle prenne des décisions courageuses en passant au travers des querelles internes du régime pour mieux asseoir et défendre la démocratie.

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