Nucléaire iranien : enjeux et perspectives

16 Mars 2015



Alors que les négociations sur le dossier nucléaire iranien ont repris ce mercredi 03 mars 2015 à Montreux (Suisse) entre le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, et le secrétaire d'État américain John Kerry, les voix s’élèvent de part et d’autre sur les difficultés à parvenir à un accord politique avant le 31 mars prochain. Les négociations devenues « plus difficiles et compliquées » selon la Chine, à l’approche de la première date butoir, accroissent les tensions entre les parties prenantes. Le 29 janvier dernier, son Excellence Monsieur Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France, a participé à une conférence organisée par l’Institut Open-Diplomacy à Paris sur le thème « L’Iran et le traitement des questions de sécurité et de défense internationale » et a évoqué ces négociations en y apportant une approche singulière. Mise en perspective.


Hassan Rohani (à droite), aux côtés du Guide suprême Ali Khamenei - Crédit Reuters
Hassan Rohani (à droite), aux côtés du Guide suprême Ali Khamenei - Crédit Reuters
Comme le souligne Monsieur l’Ambassadeur, le programme nucléaire iranien a débuté dans les années 1950 et n’a été remis en cause qu’à partir de 2002, avec la découverte des sites nucléaires Natanz et Arak poussant les États-Unis à accuser l’Iran de mettre au point des « armes de destruction massive ». Les inspections de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) ont par la suite permis de découvrir des traces d’uranium enrichi, violant ainsi l’accord du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, dont l’Iran est un des signataires. Après que l’AIEA a jugé la coopération de l’Iran « moins que satisfaisante », Ahmadinejad durcit le ton avec la communauté internationale dès son arrivée au pouvoir en 2005 en reprenant les activités de conversion d’uranium à Ispahan, et en multipliant les annonces provocatrices quant à la nature du programme nucléaire. En 2006, les sanctions de l’Union européenne et des États-Unis sont alourdies et l’ONU en impose de nouvelles. Avec l’arrivée au pouvoir du président Obama en 2009 et l’élection du nouveau président iranien Rohani en 2013, les négociations redeviennent progressivement envisageables. 

L’accord historique de novembre 2013

L’accord de novembre 2013 qui devait expirer le 24 novembre 2014 a été prolongé pour six mois, dans le but de parvenir à un accord politique le 31 mars 2015 et à un accord global avant le 1er juillet de la même année. Il présente trois avantages majeurs. Premièrement, il met fin au développement des éléments les plus sensibles du programme nucléaire iranien, c’est-à-dire la fin de la production d’uranium hautement enrichi, la limitation de la production de nouvelles centrifugeuses (permettant de procéder à l’enrichissement d’uranium), le blocage de la construction de nouvelles installations ainsi que l’arrêt de la mise en service du réacteur nucléaire Arak. Ensuite, l’accord permet un accès plus large aux installations nucléaires iraniennes pour la communauté internationale et l’AIEA dans le but de vérifier si l’Iran respecte ses engagements. Enfin, cet accord intérimaire est une véritable porte ouverte pour négocier un règlement du dossier à long terme. Il est d’ailleurs salué par toutes les parties prenantes : l’Iran et le groupe 5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne). 

L’objectif actuel est donc de transformer positivement cet accord sur le long terme et de mettre en place une solution qui permettra à l’Iran d’accéder à l’énergie nucléaire pacifique. Monsieur Ali Ahani insiste fortement sur la nécessité d’un accord satisfaisant toutes les parties, et ne laissant place à aucune interprétation ultérieure possible. En ce sens, s’il insiste sur la nécessité de développer le programme civil du pays, il reconnaît l’importance de donner des garanties solides au groupe 5+1 sur la nature uniquement pacifique du programme. Selon lui, l’Iran est uni et déterminé derrière cette volonté d’aboutir à un accord respectant les intérêts de la communauté internationale sans pour autant remettre en question les objectifs principaux du pays : « C’est un pays responsable, partisan de la logique, mais son peuple ne permettra pas aux négociateurs de céder sur les intérêts nationaux. »

Toutefois, des divergences semblent émaner au sein de l’exécutif. En effet, si Rohani a déclaré que « nos idéaux ne se résument pas à des centrifugeuses » et a proposé la mise en place d’un référendum sur un sujet qui « affecte directement le peuple », l’Ayatollah Khamenei, chef suprême du pays, a exprimé en février dernier des réserves sur les négociations en cours, considérant qu’un mauvais accord n’était pas envisageable et donc qu’une adaptation du calendrier des négociations était de nouveau nécessaire, proposant la signature d’un accord unique et sans étape intermédiaire avant le 1er juillet prochain. D’autre part, les conservateurs ont dénoncé les négociations directes entre l’Iran et les États-Unis, reprochant à Mohammad Javad Zarif d’avoir marché aux côtés de J. Kerry. Ces divergences apparentes pourraient néanmoins avoir un impact important sur la signature d’un accord, étant donné que le leader suprême a la capacité de s’y opposer, même après une éventuelle signature, et a d’ailleurs confié la responsabilité à M. Javad Zarif de ne pas céder face à des demandes excessives émanant du groupe 5+1. 

Les sanctions économiques, le moteur des négociations

Les sanctions économiques ont profondément affaibli le pays et sa population. Le PIB iranien a reculé de 25% durant ces trois dernières années, le Rial, monnaie iranienne s’est effondré et l’inflation a explosé. Comme le souligne Monsieur l’Ambassadeur, ces sanctions n’ont pas eu de résultats politiques concluants, mais ont principalement touché les plus pauvres et la classe moyenne. On a pu d’ailleurs assister à la fuite de nombreux diplômés ainsi qu’au renforcement des discours radicaux et des arguments anti-occidentaux. Si l’ancien président iranien Ahmadinejad défendait avec ferveur cet anti-occidentalisme, le nouveau président Rohani souligne le fait que le peuple iranien l’a élu pour que les choses changent et insiste donc sur la nécessité de réintégrer le pays sur la scène internationale en soulignant que « le pays ne peut pas espérer une croissance stable s’il est isolé ». Si la fin de l’isolement iranien apparaît donc capitale pour la population, Monsieur Ali Ahani souligne toutefois le mérite du pays qui, selon lui, est devenu autosuffisant dans de nombreux secteurs, insistant sur les « progrès scientifiques et médicaux plaçant aujourd’hui [l‘Iran] au premier rang dans certains domaines, ce qui constitue une fierté nationale. »

Suite à l’accord de novembre 2013, les sanctions commerciales et financières imposées depuis 2006 ont progressivement diminué, en échange de garanties sur la limitation de l’enrichissement d’uranium, montrant l’impossibilité de transformer le programme civil en programme nucléaire. L’Iran a salué cet allègement qui, souligne Monsieur l’Ambassadeur, a eu un « impact psychologique global ». Il regrette toutefois l’absence de « changements profonds » en pointant du doigt la frilosité des entreprises européennes à s’installer en Iran ou à y établir des partenariats économiques, alors que les entreprises américaines et asiatiques en profiteraient déjà. 

Toutefois, deux députés américains, Kirk et Menendez, ont parallèlement introduit le projet de loi Nuclear Weapon Free Iran Act of 2015 au Sénat le 27 janvier dernier, prévoyant la mise en place de sanctions supplémentaires dans le but d’inciter l’Iran à négocier plus efficacement. L‘objectif de cette loi est, selon ses défenseurs, d’empêcher que Téhéran échoue dans les négociations d’ici le 30 juin 2015. Obama a fait entendre que l’adoption d’une telle loi par le Congrès américain présenterait un risque direct pour le bon déroulement des négociations, donnant un argument supplémentaire aux radicaux et aux détracteurs de la tenue de telles discussions. D’autre part, les ministres des Affaires étrangères français, allemand et britannique, ainsi que le Haut Représentant de l’Union européenne, ont insisté sur le danger qu’une telle loi fracture la coalition internationale, ce qui mènerait directement à un échec des négociations.  
Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif (à droite) et le secrétaire d'État américain John Kerry, Genève le 14 janvier 2015 - Crédit Rick Wilking / AFP
Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif (à droite) et le secrétaire d'État américain John Kerry, Genève le 14 janvier 2015 - Crédit Rick Wilking / AFP

Perspective d’un accord : l’Iran, nouvel acteur incontournable ?

Le succès de ces négociations est une des priorités de la politique étrangère américaine, mais aussi d’une grande partie de la communauté internationale. Toutefois, l’adoption d’un accord exhaustif reste à l’heure actuelle assez évasive, et de nombreuses personnes s’interrogent sur le fait même que la conclusion d’un tel pacte soit possible. Il est néanmoins impératif d’envisager les répercussions possibles de la conclusion de ces négociations, puisque cela pourrait fortement impacter le pays, la région mais aussi la politique étrangère de nombreux pays. 

D’un point de vue national, le président Rohani a pour objectif majeur d’améliorer la situation économique du pays et de développer des partenariats internationaux économiques, scientifiques mais aussi diplomatiques. Il a d’ailleurs évoqué son désir de collaborer avec les États-Unis en Irak. Toutefois, s’il est en charge de portefeuilles spécifiques comme la politique étrangère, il reste sous le pouvoir du chef suprême ainsi que des gardes révolutionnaires, ce qui rend toute réforme plus difficile à adopter et mettre en place. À titre d’exemple, l’Ayatollah Khamenei est fermement opposé idéologiquement et religieusement à Israël, ce qui le rend très critique à l’égard de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. De ce fait, si la conclusion d’un accord influencerait positivement les relations diplomatiques entre les États-Unis et l’Iran, le lien est encore ténu entre les deux pays.

Parallèlement, le succès des négociations pourrait amener l’administration américaine à reconsidérer sa politique au Moyen-Orient et à repenser une coopération avec l’Iran sur certains problèmes régionaux. D’ailleurs, Monsieur Ali Ahani insiste sur la place de la puissance iranienne au Moyen-Orient et à son rôle stabilisateur qui pousserait « les pays occidentaux [à solliciter] aujourd’hui sa coopération sur différents sujets ». Il insiste sur la volonté de l’Iran de « promouvoir la paix » et souhaite appuyer les opérations collectives. S’il est conscient des rivalités régionales, il souligne que « la position iranienne s’inscrit dans un combat contre la violence, le terrorisme et l’extrémisme ». Pour appuyer ses propos, il évoque notamment la collaboration iranienne avec la coalition internationale contre l’organisation de l’État islamique, tout en critiquant certains pays de cette coalition d’avoir indirectement participé au développement de cette organisation. 

Les pays voisins sont aussi directement concernés par la possibilité d’un tel accord. Israël s’oppose d’ailleurs totalement à toute négociation qui, selon le Premier ministre Netanyahou, est un risque majeur pour la région et le monde entier, car l’Iran ne respecterait aucunement les termes du contrat. Aussi, la balance du pouvoir régional en serait modifiée avec une augmentation des tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, et le Liban, la Syrie, l'Irak et les pays du Golfe. Toutefois, un tel accord pourrait réduire la volonté de l’Arabie Saoudite de développer leur propre programme nucléaire. 

Si les négociations continuent et se compliquent, la perspective de signature d’un accord ne peut pas être écartée. En effet, elle amplifierait les enjeux de toutes les parties prenantes et impliquerait des mois, voire des années de surveillance de l’AIEA. Historiquement, l’Iran n’a pas toujours été transparent sur ses activités. De plus, toute tentative de se soustraire à sa responsabilité sous un accord pourrait entraîner de sérieuses réactions de la part d’Israël et de la communauté internationale. À l’heure actuelle, un accord sur le nucléaire iranien apparaît cependant plus raisonnable que toute autre alternative. En effet, le processus ne serait probablement pas allé aussi loin s’il n’y avait pas une chance réelle de succès.

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Mathilde L'Hôte
Etudiante en Master Paix, Conflit et Développement (Espagne), passionnée de relations... En savoir plus sur cet auteur