Pour un porno féministe

Estelle Espanol, à Séville
29 Novembre 2012



50% des femmes ont déjà vu seules un film porno. Mais si ce genre les tente de plus en plus, elles ont du mal à s’identifier aux femelles instrumentalisées qu’on leur exhibe. Un défi à relever pour les féministes pro-sexe.


Image du film "Life love lust", de la réalisatrice Erika Lust
Image du film "Life love lust", de la réalisatrice Erika Lust
C’est un fait : de plus en plus de femmes admettent apprécier les films X. Une étude de l’IFOP réalisée en 2009 à l’initiative de Marc Dorcel, le grand leader français de la pornographie, a révélé que 68% des femmes interrogées trouvaient cela excitant. Toutes catégories sociales et toutes tranches d’âge confondues, l’intérêt principal rencontré est d’activer la libido au sein du couple en cassant la routine. Mais même si le visionnage avec le partenaire séduit bon nombre de femmes, de plus en plus nombreuses sont celles qui savent l’apprécier en solitaire. Il est tellement facile de nos jours d’y avoir accès, que ce soit par le biais d’internet, des chaines télévisées ou des DVDs. Il arrive à sa fin le temps où les tabous rendaient ce sujet honteux, maintenant que les informations foisonnent sur le plaisir et qu’une place d’honneur est donnée à l’épanouissement sexuel.

La fin des savonnettes et des photocopieuses

Cependant, si la démocratisation et la banalisation du genre amènent les femmes à s’intéresser au porno, pendant longtemps chasse-gardée masculine, la plupart en déplore la médiocrité le jugeant ridicule et dégradant. Le scénario classique demeure en effet celui de l’homme bourrin, puissant et abusif face à la femme victime et soumise qui n’existe que pour accomplir ses désirs, s’offrant à lui dans le style le plus vulgaire et le plus stéréotypé possible.

Gérard Leleu, médecin-psychiatre, analyse cela en disant que la pornographie c’est « une sorte de spirale du mépris de l’autre où la femme est une simple chose ». Il n’est donc pas étonnant que les premières concernées par cette représentation en ressentent un certain malaise. Mais qu’on se rassure, l’âge d’or des plombiers et des réparateurs de photocopieuses touche à sa fin, puisque répondre à la demande des femmes en diversifiant l’offre et en prenant en compte leurs attentes devient un enjeu, loin des clichés réducteurs qui font le succès de ce genre machiste.

« Le sexe, c’est important »

C’est ainsi qu’au lieu de revendiquer la suppression du porno en réponse au mauvais porno, les féministes pro-sexe réclament la création d’un meilleur. Plutôt que de laisser ce domaine à des réalisateurs et des acteurs qui ne se rendent même pas forcément compte de leur machisme, autant développer une alternative appropriée, un porno fait par des femmes pour les femmes et leurs partenaires.

La pionnière s'appelle Annie Sprinkle : elle est passée par tous les métiers liés au sexe, pour finalement défendre l'image et les droits de la femme en proposant un autre regard qui mette l'accent sur le ressenti et le désir. Elle a donc été activiste dans le courant du féminisme pro-sexe qui naît dans les années 70 aux Etats-Unis, en réaction au féminisme puritain qui se contente de censurer le sujet. "Le sexe c'est important. On ne peut pas espérer une société égalitaire là où il y a répression du sexe."  D'où la création du « porno égalitaire » dont l'un des objectifs principaux est de déculpabiliser les femmes en leur montrant des gens qui prennent du plaisir de manière saine. Finies les grimaces de douleur, les moues boudeuses et la réduction de l’homme à un pénis en érection permanente : leur vision de la sexualité se rapproche beaucoup plus de la vraie vie.

Erotisme esthétique

Concrètement, qu’est-ce que cela change ? Tout d’abord, il y a un scénario. Les gens ne se mettent pas à copuler férocement en se croisant au hasard d’un couloir. Ils communiquent, ils rient, ils s’embrassent…ils affichent une certaine complicité qui explique leurs rapports. Ensuite, l’homme est envisagé dans sa totalité, et apprécié pour son corps, sa présence, ses sourires : la mécanique des émotions a toute sa place, et le rythme lent laisse le temps à l’action de se produire. Cela reste pourtant pornographique, ce sont toujours des personnes qui explorent leurs corps de toutes les façons possibles et imaginables, mais dans le respect de la femme. Et de l’homme aussi, puisque c’est le considérer comme tel et non pas comme un gadget sexuel en chair ; plutôt que de se concentrer sur une pénétration compulsive, le parti est pris de faire attention à chaque détail, afin que l’excitation monte lentement au gré de la stimulation de chaque sens. Ce sont des films qui visent la qualité par un traitement des faits et de l’image qui est érotique, réaliste et moderne. Une vraie vision artistique de l’union des corps, qui s’attache à mettre en avant la beauté de ceux-ci, bien qu’ils ne soient pas parfaits, grâce aux jeux des lumières, des ambiances, des décors… La caméra se promène lascivement et s’attarde sur tout ce qui fait appel aux sens : des verres qui trinquent, des tissus qui se froissent, des doigts qui se perdent dans des cheveux, des bouches qui se collent, des peaux qui frémissent…On est très loin du gros plan sur le coït, ce qui peut en décevoir certains, et certaines, plus avides d’animalité.

Révolutionner la vision de la sexualité

Une des réalisatrices actuelles les plus en vogue, Erika Lust, a écrit un livre pour présenter son travail : Good Porn: A Woman’s Guide. Par ce biais, elle souhaite montrer comment fonctionne l’industrie du porno, centrée sur la figure masculine, et comment il est possible de se réapproprier cet espace longtemps défendu, afin de rétablir l’image de la femme, et surtout de révolutionner la vision de la sexualité des générations à venir. En effet, cette héritière d’Annie Sprinkle n’a pas créé sa propre boîte de production par hasard : diplômée en droits de l’Homme avec une spécialité féminisme, elle est consciente du combat à mener concernant la représentation de la femme dans un domaine influent comme le porno ; n’oublions pas qu’une projection sur Canal + fédère plus de 2,5 millions de spectateurs.

Les fondements théoriques et  l’engagement qui sous-tendent le travail d’Erika Lust et d’autres jeunes femmes comme elle donnent une grande portée symbolique à leurs créations qui n’en sont que plus appréciables.  Avec tous les défis à relever concernant l’égalité des sexes, il fallait bien s’en prendre au porno. Et nourrir la représentation de la sexualité grâce à la vision de femmes soucieuses du respect qui leur est dû, et de l’impact de ce genre sur les futurs adultes.

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