Quelle géopolitique pour la Zone euro après l’adhésion de la Lettonie ?

24 Avril 2014



La Lettonie, Etat voisin de l’Estonie et de la Lituanie, vient d’adhérer à la Zone euro en ce début d’année 2014. Etonnement, l’arrivée de ce nouveau membre n’a bénéficié que d’un faible écho auprès des médias occidentaux, ces derniers ayant fait le choix de concentrer leur attention sur le regain de tension entre les Etats-Unis, l’Union européenne et la Fédération de Russie. Une situation pour le moins paradoxale quand on sait que l’attitude de Moscou en Crimée et dans le reste de l’Ukraine est partiellement motivée par la crainte d’un renforcement de la Zone euro dans l’espace post-soviétique.


Crédit Europa
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La Lettonie est membre de la Zone euro depuis le début de l’année 2014, une nouvelle peu relayée par les médias en Europe de l’Ouest, à l’exception peut-être de ceux en Allemagne et en Belgique. Il faut avouer que la Lettonie n’est pas l’Etat le plus connu de l’Union. Bordant la mer Baltique entre l’Estonie et la Lituanie, le pays n’a qu’une population de 2 millions d’habitants et a perdu plus de 23% de ses habitants depuis son indépendance en 1991. Pour autant, la Lettonie n’est pas négligeable sur le plan économique. Le tourisme y est en forte progression et les échanges n’ont de cesse de s’intensifier avec les deux pays voisins. Le pays commence même à attirer les investisseurs Allemands et Scandinaves, une position paradoxale quand on sait que plus de 26.9% de la population y est russophone.

En réalité, la Lettonie est un cas intéressant sur le plan culturel : on y retrouve un mélange entre influence « européenne », c’est le cas de la religion catholique et plus « russe » avec l’usage de la langue qui s’est largement répandue pendant l’époque soviétique. Ce mélange à la fois ethnique, linguistique, religieux et culturel, fait de la Lettonie un medium pour évaluer l’état des relations entre l’Union européenne et la Russie. Il faut comprendre ici que, pour la Russie, les nouvelles républiques Baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) auraient dû rester sous influence de la mère patrie. L’adhésion de ces dernières dans l’Union européenne et dans l’OTAN, en 2004, avait alors fait comprendre à Moscou que l’Union européenne pouvait avoir une capacité d’attraction pour des pays à la fois dépendant sur le plan énergétique et économique de cette dernière. La Lettonie, en faisant les choix évoqués précédemment, avait montré qu’un pays avec une forte proportion de russophones pouvait envisager une voie toute autre que celle voulue par la Russie, à savoir la neutralité ou le rattachement sur le long terme.

Suivant ce principe « d’entre deux mondes », le pays doit faire face à des tensions importantes de la part du Kremlin qui, comme il est de coutume, utilise les russophones pour déstabiliser le pays lors des grandes réformes. L’adhésion dans la Zone euro témoigne alors de deux aspects fondamentaux : la capacité des Etats voisins, c’est le cas de la Finlande et de l’Estonie, à avoir pu influencer le choix économique de la jeune république et le retour de la devise commune européenne comme valeur sûre pour les nouveaux pays membres de l’Union.
Si, à l’Ouest, le choix d’adhérer ou non à la Zone euro repose avant tout sur le souhait de participer volontairement, à l’Est, chaque nouveau pays qui inscrit sa politique dans cette optique doit faire face à des pressions plus ou moins explicites de la part des médias russes et à une résurgence des tensions avec la Russie. L’Estonie, pays europhile qui avait adopté l’Euro en 2011, en pleine période de crise, avait alors voulu montrer son enracinement politique et économique dans l’espace européen et montrer sa confiance envers le potentiel de la devise commune. Trois ans plus tard, la Lettonie souhaite à son tour montrer à la Russie son ancrage dans l’Europe et son souhait d’aller plus loin dans l’intégration et la participation aux grands projets européens et ce, malgré la pression des médias russes qui ont tenté d’inciter la population russophone à se lever contre le choix du gouvernement et à manifester pour un référendum qui aurait, objectivement, amené à ne pas adopter la devise.

Une adhésion qui redessine la géopolitique économique en mer Baltique

Contrairement aux apparences, cet élargissement est lourd de conséquences sur le plan géoéconomique. Dans un premier temps, l’adhésion a pour conséquence directe de renforcer la coopération entre la Finlande, l’Estonie et la Lettonie, alors qu’auparavant, les deux premières étaient dans une situation d’isolement par rapport au reste de la Zone euro. En découle comme conséquence logique des investissements et un tourisme en plein essor, comme on peut le voir à Riga, qui incite, par effet domino, la Lettonie à décider d’adopter l’Euro pour 2015. La situation aurait été toute autre sans l’adhésion de la Lettonie car la Pologne, pour l’instant, n’est pas encore membre.
L’autre conséquence de cet élargissement est la remise en cause de la position suédoise, danoise et polonaise en ce qui concerne la monnaie commune. Ces pays commercent tous en mer Baltique, le retrait du Lats dans les négociations et son remplacement par l’Euro, augmente la présence de ce dernier et pose la question de l’élargissement à la Pologne, pays en plein essor économique et possiblement de la Suède dans les dix prochaines années, cette dernière étant encore très sceptique vis-à-vis de la devise.
Crédit DR
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Symboliquement, cela signifie également la fin de la crise de la Zone euro, qui, combiné avec l’adhésion du mécanisme de sécurité, relance les projets d’élargissement pour 2015, mais surtout 2017 pour la République Tchèque et la Pologne, deux puissances économiques montantes en Europe de l’Est. Autre aspect symbolique fort, la Russie est en contact direct et unique (si l’on fait exception de Kaliningrad) avec la Zone euro, sans oublier que la Biélorussie, autrefois lointaine de la devise, partage désormais une frontière commune avec la zone, une situation dont l’impact est fort auprès de la population biélorusse qui, malgré la politique autocratique, n’est pas si proche idéologiquement de la Fédération de Russie et n’adhère pas à certains aspects du projet d’Union eurasiatique souhaité par le Président Poutine.

Finalement, l’arrivée de la Lettonie, tant bien même oubliée par les Européens de l’Ouest, a eu un impact positif sur la confiance des marchés envers la devise et est un facteur d’explication du retour de l’Euro comme monnaie forte dans les transactions internationales.

Quelles conséquences pour les relations entre l’Union européenne et la Russie ?

Au final, l’adhésion de la Lettonie dans la Zone euro n’est pas l’évènement marquant de cette année pour la Russie. Mais elle s’intègre dans l’idée d’une Union européenne de plus en plus présente à proximité de son territoire et l’incite à repenser sa politique pour « défendre » les intérêts des russophones en dehors du pays. La fédération russe a longtemps pensé que l’Union européenne n’était, ni plus ni moins, qu’un large marché où les intérêts divergents ne pourraient amener à l’émergence d’un compétiteur sérieux sur le plan politique. Il lui a fallu attendre 2004-2007  et l’intégration des anciens pays soviétiques pour se rendre contre de sa propre différence avec le reste des pays en Europe.

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L’intégration de la Lettonie en 2014, puis de la Lituanie en 2015 et ses conséquences sur le plan économique mais surtout politique, amènent Moscou à devoir repenser sa politique vis-à-vis du voisinage européen. L’élargissement de la Zone euro ne saurait s’envisager sous une perspective non-idéologique. Elle témoigne à la fois de l’attrait d’un Euro commun que nombre de médias russophones considéraient et se représentaient comme quasiment mort depuis la crise de 2008, ainsi que de l’impossibilité pour le Kremlin de mobiliser les russophones en Lettonie, mais aussi en Estonie et en Lituanie, ces derniers n’étant pas défavorables au fait de vivre comme russophones mais au sein de l’Union européenne. Une perspective assez nouvelle et qui n’est pas sans amener à craindre l’émergence de certaines modifications territoriales dans un futur proche. Ainsi, si les russophones d’Estonie (24%) et de Lettonie (26.9%) acceptent de vivre dans l'Union européenne, qu’en adviendra-t-il de la région de Kaliningrad qui, si l’adhésion de la Pologne a lieu, se retrouvera en plein milieu d’une Union européenne et d’une Zone euro élargie ? N’y aurait-il pas à craindre, pour Moscou, l’émergence du souhait d’une deuxième voix, être russophone mais sans être citoyen russe ? Une question jusqu’alors jamais posée par le gouvernement qui a toujours associé russophonie et attachement aux intérêts de la mère patrie.

Pour résumer, c’est l’effet domino qui inquiète la Russie et ce nouvel élargissement n’a pas pour but de déstabiliser le voisin russe, c’est bien là le principal problème. S’il y avait  une forme de pression de la part de Bruxelles dans les Etats baltes, alors la Fédération pourrait user des moyens habituels pour montrer son mécontentement. Au lieu de cela, la présence de l’Euro et la faible contestation des russophones dans les Etats Baltes amènent au constat suivant : l’Euro est et sera probablement toujours là dans les années à venir, face à un projet d’implémentation du rouble comme devise commune dans l’Union eurasiatique qui, pour sa part, ne semble pas ou peu mobiliser l’opinion publique en Biélorussie, dans les républiques du Caucase et en Asie centrale.

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Michael LAMBERT
Jeune chercheur européen passant la majorité de son temps libre entre les bibliothèques et les... En savoir plus sur cet auteur