Royaume-Uni et Union européenne : un mariage blanc ?

Jean-Samuel Lécrivain, membre de UN'ESSEC
31 Janvier 2014



En décembre, était dévoilée la coopération du GQHC avec la NSA dans l’affaire des écoutes téléphoniques. Une affaire qui a relancé les débats sur la position du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. L'occasion de revenir sur ce parcours européen plus que décousu.


© Thierry Roge/EPA
© Thierry Roge/EPA
En décembre dernier, le Spiegel et le Guardian ont révélé la mise sur écoute du gouvernement fédéral allemand ainsi que de grandes entreprises françaises comme Total ou Thalès par la NSA et son allié britannique le GQHC. 

Le Royaume-Uni constitue, en terme de statut, une exception au sein de l’Union européenne : rabais sur sa contribution au budget européen, non-soumission à la convention de Schengen, refus de la Charte des Droits Fondamentaux de l'UE... Tout un ensemble de mesures qui traduit les concessions exceptionnelles que les membres de l’Union lui ont accordé au fil des traités, jusqu’à donner naissance à une Union à géométrie variable.

La longue marche du Royaume-Uni vers l’Europe

Depuis sa conception, le Royaume-Uni a de tout temps été associé à la construction européenne, car il y voyait un moyen d’aider au redressement économique de ses voisins à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Or association outre-manche n’a jamais rimé avec intégration. Dans son discours de Zurich en 1946, Churchill affichait ainsi la position britannique vis-à-vis du projet européen au lendemain de la guerre : « La France et l’Allemagne doivent montrer le chemin. La Grande-Bretagne, le Commonwealth, la puissante Amérique et, j’en suis convaincu, l’URSS, doivent être les amis et les parrains de la nouvelle Europe et défendre son droit à exister et à rayonner ». 

La Grande-Bretagne se voyait telle la marraine de cette Europe nouvelle, sans aucune raison ni nécessité pour le Royaume-Uni de rejoindre ce projet conçu pour aider à la reconstruction des économies dévastées de l’Allemagne et de la France. Le territoire britannique sort largement épargné du conflit, et si son économie devenue une économie de guerre peine à redevenir une économie florissante, l’aide américaine aide au redémarrage. La Grande-Bretagne regarde désormais vers l’Ouest, vers son partenariat privilégié avec les États-Unis.

La première grande crise entre le libéralisme anglais et la volonté d’une plus grande intégration économique et politique de l’Europe eut lieu en 1979, en raison du projet de système monétaire porté par Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt. Le gouvernement Callaghan refusa au nom de la souveraineté nationale anglaise d’engager son pays au sein de ce projet. Dès lors, toute entreprise européenne du renforcement de l’intégration de ses pays membres s’est heurtée au refus anglais, selon une idée clairement exprimée par Thatcher lors d’un discours au Collège de Bruges en 1988 : « Nous n’avons pas réussi à faire reculer les frontières de l’État en Grande-Bretagne pour qu’on nous les réimpose au niveau européen, par le biais d’un super-État européen exerçant sa domination depuis Bruxelles ». 

Aujourd'hui, une île souverainiste en mer d’Europe

L’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur de Cameron en 2010 a marqué un nouveau tournant dans le cadre des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Dès les premiers temps de son élection, le Premier ministre a mis en place un « verrou législatif », conditionnant tout abandon de prérogatives supplémentaires à Bruxelles à la tenue d’un référendum. L’hostilité britannique traditionnelle à l’État européen prenant ainsi une forme inédite du fait du caractère systématique et obligatoire d’une mesure qui isole, une fois de plus, l’île du continent.

Mais le symbole absolu du changement de paradigme politique demeure la décision de David Cameron de mettre son veto à la réforme du traité de Lisbonne, lors du Conseil européen de décembre 2011. Aucun gouvernement britannique depuis l’entrée du pays dans la CEE en 1973, pas même celui de Thatcher, ne s’était ainsi ostensiblement et délibérément mis hors jeu en se retirant des négociations. La réforme devait permettre de contrôler plus étroitement les budgets nationaux en réponse à la crise des dettes souveraines de la zone euro, refus d’autant plus incompréhensible pour les partenaires européens du Royaume-Uni que ce dernier ne fait même pas partie de la zone euro. Ce coup de semonce du gouvernement marque le début de la tentative de reconquête britannique de ses prérogatives nationales, promise par Cameron à un électorat de plus en plus eurosceptique.

Si, sur le continent, l’Angleterre achève de compléter son isolement, le gouvernement Cameron est, quant à lui, mis en difficulté par la frange la plus conservatrice du Parlement, réclamant plus d’autonomie à l’égard de l’Europe. Ce sont selon le Sunday Telegraph, pas moins de 95 députés britanniques qui ont écrit au Premier Ministre pour réclamer que la Chambre des Communes et du Parlement puisse mettre son veto à toute législation européenne existante et future « Nous vous appelons à [...] faire de l'idée d'un veto national sur les lois actuelles et futures de l'Union européenne, une réalité ». Logiquement conforme aux décisions antérieures du gouvernement Cameron, un tel dispositif permettrait au Royaume-Uni de s’affranchir à tout moment de lois européennes ne lui convenant pas.
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Union européenne et Royaume-Uni : vers un divorce ?

Un responsable de la délégation française au Royaume-Uni ayant préféré gardé l’anonymat a accepté de nous éclairer sur la situation. Il estime peu probable la sortie prochaine du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Selon lui, Cameron est « pris en otage » par la frange la plus conservatrice de son parti et les radicaux de UKIP, qui cherchent à cristalliser le mécontentement autour de la question de l’immigration légale, en provenance de l’Europe de l’Ouest. « A un moment où les indicateurs sont repartis en hausse de l’autre côté de la Manche, Cameron préférerait pouvoir parler d’autre chose que de l’Union Européenne, et une majorité des Anglais préféreraient aussi entendre parler d’autre chose, mais le débat persiste en raison des conséquences d’une telle question pour le futur de la nation » nous confie-t-il. Mais quelles pourraient être ces conséquences ? 4 scénarios se dessinent alors.

Le scénario en vogue chez les eurosceptiques serait de suivre les préconisations de M. Delors, de quitter l’Union mais de demeurer une puissance associée, sur le modèle de la Norvège. Le Royaume-Uni ferait ainsi partie d’un marché commun, sans perdre une partie de sa souveraineté, mais en échange il serait privé de toute influence sur la politique européenne.

Un autre scénario serait d’envisager que le Royaume-Uni demeure au sein de l’Union au prix de concessions de la part de cette dernière, ce qui est déjà le cas. Si un tel scénario aurait du côté britannique tous les avantages, du côté européen il fonde la crainte du développement d’une « union à la carte », au sein de laquelle les pays ne seraient pas traités sur un pied d’égalité.

Le troisième serait la sortie pure et simple de l’Union, le referendum de 2015 pourrait aboutir à un tel résultat, avec des conséquences pour l’instant encore difficile à mesurer. Néanmoins la perspective de quitter l’Union inquiète, même dans les milieux économiques. Ainsi, le président de la confédération patronale (Confederation of British Industry, CBI), M. Roger Carr avait confié au journal The Observer le 13 janvier de l’année dernière : « Quitter l’Union européenne aurait un effet négatif sur l’emploi, distendrait les relations internationales et compromettrait la richesse nationale ».

Le dernier scénario serait un scénario « europhile », où le Royaume-Uni accepterait de revenir sur la tendance de ces dernières années pour revenir dans le jeu européen et y défendre ses intérêts, et son propre modèle de l’Europe. Un tel scénario impliquerait que l’île accepte de se placer au centre et non plus à la périphérie de l’Europe, ce qui irait à contre courant de la majorité des discours d’aujourd’hui.


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