Royaume-Uni : la stratégie de prévention de l’extrémisme questionnée

8 Décembre 2015



A ce jour, ils sont 750 citoyens britanniques à être partis combattre en Irak et Syrie, soit une moyenne de 12 pour un million d’habitants. Un enjeu de taille pour le gouvernement qui, dès les attaques terroristes de 2005 à Londres, a instauré une politique anti-terroriste de grande ampleur. Si cette politique visait en premier lieu Al-Qaeda et ses affiliations, elle s’est adaptée aux nouvelles menaces, l’organisation de l’Etat islamique étant désormais sa priorité. Retour sur l’évolution d’une stratégie politique en mouvement, qui ne manque pas d’alimenter les débats.


D. Cameron présente les nouvelles mesures anti-terroristes. « La lutte terroriste est le plus grand défi de notre génération » - Crédits Paul Ellis/PA
D. Cameron présente les nouvelles mesures anti-terroristes. « La lutte terroriste est le plus grand défi de notre génération » - Crédits Paul Ellis/PA
Contest, la politique anti-terroriste du gouvernement britannique, a été mise en place en 2003 et fortement renforcée suite aux attentats de Londres du 7 juillet 2005. Elle se divise en quatre axes : « Prévenir » les citoyens de s’engager dans des mouvements extrémistes et terroristes ; « poursuivre » les protagonistes de potentielles attaques et les en empêcher ; « protéger » le territoire et les citoyens de ces attaques et les rendre moins vulnérables ; et enfin « préparer » l’après-attaque si elle n’a pu être évitée et ainsi minimiser son impact sur la population. La stratégie de prévention est indéniablement l’axe jugé comme le plus important par les autorités britanniques qui l’ont progressivement renforcée et adaptée aux besoins du pays. 

« The prevent strategy » ou comment prévenir l’extrémisme

Cette stratégie, au cœur de la politique anti-terroriste, a pour but de prévenir toutes les formes d’extrémisme pouvant « menacer la sécurité du pays ». L’extrémisme est défini par le gouvernement comme « l’opposition active aux valeurs fondamentales britanniques comme la démocratie, l’état de droit, les libertés individuelles, le respect mutuel et la tolérance des différentes cultures et religions ». Cette stratégie prévoit de facto une action globale allant de la lutte contre l’extrémisme politique à l’extrémisme religieux. Toutefois, les moyens préventifs mis en œuvre le sont en adéquation avec la menace observée par le gouvernement. Si Al-Qaeda a été longtemps désigné comme l’ennemi numéro un, l’organisation de l’Etat islamique est dernièrement devenue la préoccupation principale des autorités. 

L’objectif principal de cette stratégie est de développer, chez chaque citoyen, un sentiment d’appartenance au pays ainsi que le soutien de ses valeurs fondamentales. Pour ce faire, les actions mises en place sont multiples, comme le montre un rapport publié par le gouvernement en 2008 sur la stratégie de prévention. En un an, 261 projets ont été menés, touchant directement 44 000 personnes. Si la grande majorité de ses projets se concentrent sur l’organisation de forums et débats pour échanger dans un lieu neutre sur des problématiques jugées critiques, le gouvernement a également décidé d’organiser des activités plus ludiques dans le but de sensibiliser un maximum de citoyens. A titre d’exemple, 33 % des projets ont été menés dans des écoles pour promouvoir la connaissance et la compréhension de différentes cultures et religions. L’art et la culture occupent également une place importante, notamment avec la création de théâtres locaux et participatifs traitant des problématiques extrémistes. Si la plupart des actions ont, d’après le gouvernement, pour but principal de sensibiliser la population et ainsi  « augmenter la cohésion sociale et l’intégration », environ 20 % des actions menées ciblent directement des acteurs de mouvements extrémistes. 

Pour améliorer l’efficacité de la stratégie de prévention et pallier aux différents besoins du public, le gouvernement a mis en place, en 2009, une formation WRAP suivant trois principaux objectifs : comprendre la stratégie de prévention et la mettre en perspective ; connaître les problèmes extrémistes de tous types présents dans la société britannique ; émettre un jugement professionnel ainsi qu’une expertise efficace concernant les potentielles victimes de tels mouvements. Si ces professionnels participent aux activités de sensibilisation et de prévention, ils sont jugés compétents pour travailler avec des citoyens déjà radicalisés. 

« The Channel process » : enrayer la radicalisation

Le processus Channel a été mis en place à partir de 2007 et instauré sur l’ensemble du territoire britannique dès 2012, pour compléter la stratégie de prévention. L’objectif du gouvernement est clair : « fournir un soutien aux individus vulnérables pouvant être entraînés vers un extrémisme violent ». Ce processus se décompose en trois étapes : identification des individus vulnérables ; comprendre la nature et le degré du risque ; et enfin développer un soutien adapté à chaque individu. 

Chaque cas est supervisé par un coordinateur qui est, dans la plupart des cas, un officier de la police locale. Il doit établir et maintenir une coopération avec l’individu et sa famille, les autorités locales, les forces de polices et d’autres partenaires comme le système éducatif, les services sociaux, les services de douanes, ou toute autre institution pertinente. 

Aujourd’hui, la fondation Quilliam, puissant groupe de réflexion sur l’extrémisme, appelle au recrutement de plus de tuteurs dans le programme Channel dans le but d’améliorer son efficacité. Elle souligne aussi la nécessité de se concentrer parallèlement sur la déradicalisation des individus ayant déjà été activement acteurs de mouvement extrémistes ou terroristes, une mesure que la fondation juge urgente face aux retours des citoyens britanniques des zones de combat en Irak et Syrie. Pour cette fondation, le témoignage de certains d’entre eux et leur participation directe aux activités de sensibilisation doit être un élément clé de la stratégie de prévention. En ce sens, elle insiste sur la nécessité d’adopter des mesures « positives », qu’elle juge beaucoup plus efficaces que les lois coercitives adoptées par le gouvernement en 2014, comme la saisie de passeport ou encore la déchéance de nationalité. 

Promotion des valeurs nationales : un risque de stigmatisation ?

Au cours de l’année 2015, le gouvernement britannique a adopté une nouvelle version de la loi anti-terroriste. Si elle appelle à se concentrer sur les causes, en particulier sociales, et acteurs de la radicalisation, les nouvelles clauses insistent plus profondément sur la promotion des valeurs nationales britanniques. Cette mesure a été vivement critiquée par des groupes musulmans qui y voient un risque de rejet ainsi qu’une augmentation du ressentiment de ces cercles. L’opposition du parti des travailleurs a d'ailleurs demandé au premier ministre David Cameron de « construire des ponts » avec la communauté musulmane en insistant sur le risque de telles mesures de créer des divisions et la victimisation de certains groupes de la population. 

A plusieurs reprises, la stratégie de prévention a été accusée de cibler ces actions sur un public à 90 % musulman, alors que ces derniers représentent seulement 5 % de la population britannique. Cette peur de stigmatisation réfère directement à la prophétie auto-réalisatrice du sociologue américain Robert Merton (1948), pour qui la définition d’une fausse situation suscite un comportement nouveau qui la rend vraie. La stratégie de prévention semble, pour une large partie de la population britannique, problématique à ce niveau, puisque l’action d’engager certains groupes sur des sujets précis peut avoir l’effet de les identifier comme différents. 

En ce sens, si la fondation Quilliam estime que le premier Ministre a bien identifié les causes de la radicalisation et propose des solutions actives pour y remédier, elle insiste sur l’importance de promouvoir des alternatives positives ainsi qu’un modèle d’engagement communautaire permettant la mise en place d’un véritable dialogue entre les différents groupes sociaux.

La liberté d’expression en danger ?

La grande nouveauté de la réforme de 2015 est le nouveau rôle des institutions publiques dans la stratégie de prévention. Ces institutions se doivent de reporter tout comportement d’individus jugés enclin à l’extrémisme. Cette nouvelle mesure a été grandement critiquée et dénoncée dans les milieux universitaires. En effet, les universités, depuis septembre 2015, peuvent désormais légalement mettre en œuvre des mesures anti-terroristes. D’après le gouvernement, environ 70 événements par an promouvant des discours questionnant les valeurs britanniques et de démocratie sont accueillis par des universités. 

Des centaines d’universitaires ont néanmoins souligné le risque de l’extension de la stratégie de prévention et les conséquences néfastes qu’elles pourraient avoir sur le débat public, la liberté d’expression, d’opinion et d’engagement politique. Pour appuyer leurs arguments, ils reportent plusieurs incidents : des élèves supportant la Palestine libre ont été jugés vulnérables à l’extrémisme, ou encore l’étudiant Mohammed Umar Farooq a été dénoncé pour avoir lu un livre sur le terrorisme alors qu’il étudiait un master du même nom. 

L’UCU, le plus grand syndicat universitaire du pays, s’oppose également à ces nouvelles mesures en déclarant que la meilleure réponse au terrorisme est de créer des « espaces ouverts et démocratiques » de débat, plutôt que de l’aseptiser. Si la secrétaire générale, Sally Hunt, rappelle la responsabilité des institutions publiques de protéger les citoyens de discours « haineux et violents », elle réaffirme la nécessité des universités de « promouvoir la liberté académique, une clé de notre culture ». 

Le gouvernement, en se basant sur des exemples de radicalisation d’individus durant leur cursus universitaire, réaffirme la nécessité de telles mesures pour combattre l’extrémisme. Il insiste sur le rôle crucial des écoles et universités de « protéger les jeunes tout en leur donnant l’opportunité de développer leur potentiel » dans un environnement dégagé d’idées et de discours radicaux. Le ministre des universités et de la Science, Jo Johnson, a rappelé les étudiants et leurs syndicats à leurs responsabilités face à la montée de l’extrémisme en Royaume-Uni. 

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Mathilde L'Hôte
Etudiante en Master Paix, Conflit et Développement (Espagne), passionnée de relations... En savoir plus sur cet auteur