Syrie : une guerre par procuration

7 Mars 2013



Les dernières évolutions de la situation en Syrie démontrent clairement que la crise syrienne ne peut plus être considérée comme une révolution d’un peuple opprimé contre la dictature de son régime. Bien au-delà. Car le conflit syrien prend une tout autre ampleur et dégénère en une véritable guerre civile entre les forces de l’opposition et celles du régime en place.


@Goran Tomasevic/Reuters
@Goran Tomasevic/Reuters
Cette guerre civile s’accentue de manière considérable puisqu’elle demeure alimentée par des tensions régionales faisant en sorte que toutes les puissances de la région « tentent d’imposer leur influence et défendre leurs propres intérêts géostratégiques et économiques ». En d’autres termes, chacun des acteurs de la région procède à la stratégisation du conflit syrien conformément à ses propres intérêts. Devant cette situation, se pose la question suivante : dans quelle mesure la stratégisation de la crise syrienne risque de porter atteinte à la stabilité du Moyen-Orient? 

La réponse se trouve nuancée, mais nul ne peut nier que la Syrie constitue, désormais, « un théâtre de guerre » et un terrain de conflit stratégique entre l’Iran et les monarchies du Golf. Le premier désire, en effet, maintenir le régime syrien en place afin de garder son influence sur la région. Les pays du Golf, quant à eux, espèrent profiter de la crise syrienne pour changer la situation et réduire l’hégémonie iranienne dans la région. L’intéraction entre les combattants du Hezbollah pro-régime Al Assad et agissant sous les ordres de l’Iran, et ceux de l’armée syrienne libre soutenus financièrement et militairement par les pays du Golf, des pays occidentaux et la Turquie, reflète parfaitement la face cachée de la crise syrienne.

Il apparaît évident que la crise syrienne traduit une guerre par procuration entre les rivaux régionaux. Pour comprendre ceci, il s’agit bien d’examiner l’ampleur de la stratégisation de la crise syrienne dont les risques ne seront guère sans incidence sur l’avenir de la Syrie et la stabilité de toute la région.

Ampleur de la stratégisation de la crise syrienne

Les relations entre l’Iran et les monarchies du Golf sont très délicates en raison de la rivalité religieuse entre Chiites et Sunnites, mais aussi pour des considérations stratégiques qui se manifestent par la perception négative que développent les uns par rapport aux autres. La révolution syrienne renforce ce constat.

La crise syrienne développe un enjeu stratégique majeur aussi bien pour l’Iran que pour les monarchies du Golf. En fait, ces derniers perçoivent le renversement du régime de Bachar Al Assad en Syrie comme une opportunité permettant d’isoler l’Iran et du coup neutraliser son hégémonie régionale. Par conséquent, les pays du Golf, notamment l’Arabie Saoudite et le Qatar, et même la Turquie, n’hésitent pas à apporter leur soutien politique et financier au profit de l’opposition syrienne dans sa guerre contre les troupes du régime Al Assad.

Ainsi, du point de vue politique, les pays du Golf ont immédiatement reconnu « la coalition nationale syrienne des forces de l’opposition et de révolution ». Ils ont exprimé à cet égard « l’espoir que cette entité soit un pas en avant vers un rapide transfert du pouvoir » en Syrie. Il s’agit d’une preuve de l’implication des pays du Golf dans la guerre politique contre le régime syrien.

Cependant, le soutien des monarchies du Golf ne se limite pas uniquement à la politique, mais se développe aussi dans le cadre militaire, puisque l’opposition syrienne reçoit régulièrement des aides financières nécessaires (dont les sources sont sans doute le Qatar et l’Arabie Saoudite) pour s’approprier des armes en vue d’accélérer la chute du régime Al Assad. Ce contexte permet ainsi de confirmer la volonté des pays du Golf de priver le régime iranien de l’un de ses alliés les plus importants dans la région, et par la même occasion de briser l’axe chiite qu’ils craignent tant.

La contre-attaque iranienne

Conscient de cette situation, l’Iran ne veut pas se laisser faire, au contraire, il compte défendre ses intérêts stratégiques et son hégémonie sur la région. D’ailleurs, les autorités du pays usent de leur influence pour mettre en œuvre une politique agressive tendant à soutenir le régime de Bashar Al Assad contre les forces de l’opposition devenues de plus en plus puissantes. Pour cela, ils n’hésitent pas à s’engager dans le financement de l’armée du régime syrien et son renforcement à travers l’envoi régulier d'armes et de combattants dont le nombre est estimé à 50 000, la plupart étant des partisans du Hezbollah.

Ainsi, il apparaît évident que la crise syrienne cache, en réalité, une guerre par procuration entre l’Iran et les pays du Golf. Cette stratégisation s’est en effet développée pour atteindre également les puissances internationales puisque la Russie ne cache pas son soutien à l’approche iranienne, alors que les Etats-Unis, les pays européens et la Turquie favorisent la démarche des pays du Golf.

Ce contexte ne fait, en réalité, que maintenir la longévité de la crise syrienne, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’avenir de la Syrie et sur la stabilité de la région. Autrement dit, la stratégisation de la crise syrienne conduit à des risques majeurs dont les conséquences seront néfastes sur la Syrie et l’ensemble de la région.

Les risques de la stratégisation de la crise syrienne

@AFP
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Deux risques majeurs peuvent être engendrés par l’ingérence stratégique de l’Iran et des monarchies du Golf dans la crise syrienne. Il s’agit d’une guerre civile atroce pouvant déchirer la Syrie : le risque d’expansion du conflit dans la région, qui nuirait par la même occasion à la stabilité de l’ensemble du Moyen-Orient, est élevé. En effet, la guerre en Syrie renforce la division du pays dont le tissu social est multicommunautaire. Il se caractérise par la présence de plusieurs groupes ethniques (chiites, sunnites, alaouites, chrétiens…), ce qui serait susceptible de renforcer la menace d’une « implosion » complète du pays. 

La Syrie se partage désormais en plusieurs camps : des zones dirigées par les combattants de l’opposition et des zones contrôlées par l’armée du régime. Les deux protagonistes continuent de se neutraliser puisqu’aucune partie n’est prête à arrêter les hostilités.

Une situation qui risque de réveiller les dissensions entre les multiples communautés présentes en Syrie, principalement entre les Chiites épaulés par l’Iran, et les Sunnites soutenus par les pays du Golf. Cela conduirait sans doute à des déchirures sociales, voire à la « balkanisation de la Syrie » au même titre que l’Irak en 2003 après la fin de l’intervention militaire américaine.

L’autre risque majeur de la crise syrienne réside dans la « contagion du chaos » aux pays de la région, notamment le Liban, la Jordanie et l’Irak qui sont déjà affaiblis par des discordes internes et qui doivent, maintenant, faire face à la menace d’une déstabilisation sécuritaire, comme c’est le cas au Sahel. Justement, le conflit armé en Syrie pourrait avoir des résultats similaires à la guerre en Libye, car celle-ci a permis certes d’anéantir le régime Kadhafi, mais elle a aussitôt affaibli le système de défense de toute la région du Sahel qui se trouve actuellement en proie aux terroristes d’AQMI et à ses alliés. Cette situation pourrait se répéter au Moyen-Orient surtout avec la présence des armes à portée de main des djihadistes et des groupes terroristes, Al Qaida en Irak en l’occurrence.

Par ailleurs, l’escalade des tensions entre le Hezbollah au Liban et l’armée syrienne libre d’un côté, et les incidents sécuritaires à la frontière entre l’Irak et la Syrie de l’autre (dont l’attentant meurtrier en Irak a causé la mort de 42 soldats syriens) démontrent parfaitement la fragilité de la région et sa vulnérabilité face à la crise en Syrie.

Pire encore, l’implication des monarchies du Golf dans la possible destitution du régime Al Assad pourrait conduire l’Iran à récidiver plus loin et frapper la stabilisation politique et sécuritaire de ces pays en activant, par exemple, les groupes chiites vivant dans les monarchies du Golf comme ce fut le cas notamment au Bahreïn, ce qui ouvrirait la voie à une confrontation directe très dangereuse.

La crise syrienne ne peut plus être traitée sous l’angle stratégique, car le soutien extérieur à un camp au détriment de l’autre ne ferait qu’empirer la situation. Au contraire, il faut impérativement trouver une solution politique à ce conflit qui soit acceptable pour tous et avec le moins de dégâts possibles. Pour cela, il s’agit de dépasser les calculs stratégiques et unir les efforts tant sur le plan régional qu’international, pour la reconstruction d’un pays dont la population doit cesser de souffrir.

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Mehdi RAIS
Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre... En savoir plus sur cet auteur