Turkménistan : les déboires du gaz

La rédaction de FranceKoul
24 Août 2013



Le 26 juin, le consortium responsable de l’exploitation de Shah Deniz, le plus important gisement d’Azerbaïdjan (géré à 25,5% par BP), a rendu publique sa décision concernant le choix du gazoduc qui exportera la production gazière offshore azérie.


Faute d'infrastructures, le Turkménistan peine à exporter ses colossales réserves de gaz | Crédit Photo -- AFP / STR
Faute d'infrastructures, le Turkménistan peine à exporter ses colossales réserves de gaz | Crédit Photo -- AFP / STR
À Nabucco Ouest, le projet conçu pour transporter le gaz azéri par la Turquie jusqu’en Autriche, BP et ses partenaires ont préféré le projet TAP (Trans-Adriatic Pipeline) transitant par la Grèce, l’Albanie et l’Italie. Cette décision a porté le coup de grâce à Nabucco, projet d’une capacité de 31 milliards de centimètres cubes par an fortement soutenu par Bruxelles après les « guerres du gaz » russo-ukrainiennes de 2006 et 2009, afin de réduire la dépendance européenne en gaz russe. « Nabucco est terminé pour nous », a admis Gerhard Roiss, PDG de l’entreprise autrichienne OMV, leader du consortium responsable du projet.

Pour le Turkménistan, il s’agit là d’un revers. Un responsable du groupe français Total, autre membre du consortium exploitant Shah Deniz, affirme : « Nous croyons aux capacités du Turkménistan, mais nous savons aussi que prendre une décision relative à la construction d’un pipeline au travers de la mer Caspienne prendrait beaucoup de temps, et nous avons besoin d’une décision rapide pour exporter la prochaine production du champ Shah Deniz 2 ». La situation géopolitique rend en effet quasiment impossible la réalisation d’un gazoduc dans la Caspienne. Depuis la chute de l’URSS, les cinq États côtiers ne sont jamais parvenus à trouver un accord relatif au statut de la mer Caspienne. La Russie en particulier appose fréquemment son véto pour empêcher les pays centre-asiatiques producteurs d’hydrocarbures de concurrencer ses exports vers les marchés occidentaux.

D'improbables débouchés

Au vu de cette situation compliquée, quelles options reste-t-il au Turkménistan ? « La route de l’Ouest n’est pas morte », affirme Liana Jervalidze, experte en questions énergétiques caucasiennes. « Les Turkmènes peuvent considérer cette décision comme quelque chose de positif dans la mesure où la Russie n’est plus concurrencée dans ses marchés traditionnels en Europe de l’Est. Ainsi, ce qui peut faire la différence pour eux est la capacité du pipeline reliant l’Azerbaïdjan à l’Union européenne. L’Azerbaïdjan peut construire le TANAP (Trans-Anatolian gas pipeline) ou consentir à utiliser le SCP (South Caucasus Pipeline) et le réseau turc comme le suggère continuellement BP. Opter pour le SCP est l’option la plus économique pour livrer le gaz vers l’Union européenne, mais sa capacité maximale pourrait s’avérer trop limitée pour exporter les 10 milliards de gaz produits annuellement par le Turkménistan ». Le Turkménistan ne peut donc qu’espérer la construction du TANAP, projet que l’Azerbaïdjan considère plus qu’improbable.

L’avenir du gaz turkmène est sans conteste plus sombre que par le passé. Depuis 2009 et le chute de la demande européenne, la Russie n’achète plus que 10 milliards de mètres cubes de gaz par an au Turkménistan. Ainsi, à moins que le marché européen ne regagne sa capacité passée, « les choses continueront ainsi », affirme Mikhaïl Krutikhin, responsable à RusEnergy. L’Iran ne représente pas non plus une débouché plausible. Achgabat a cessé les exportations vers son voisin du Sud, car Téhéran peine à payer le milliard de dollars qu’il doit au Turkménistan, du fait des difficultés rencontrées par son système bancaire depuis les nouvelles sanctions financières imposées par la communauté internationale.

Dépendance à la Chine et à la Russie

La solution aux déboires turkmènes pourrait cependant venir de l’Est. En 2009, la Chine a commissionné un pipeline entre les deux pays, pour une capacité de 40 milliards de mètres cubes par an, sachant que la Chine, dont la consommation ne fait qu’augmenter, importe déjà du Turkménistan aujourd’hui la moitié de cette quantité de gaz. Les termes de l’accord sont encore méconnus, mais plusieurs analystes pensent que des prix à l’importation trop bas requis par la Chine pourraient pousser le Turkménistan à s’intéresser plus que jamais au projet de pipeline TAPI (Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, Inde). Un projet qui serait techniquement facile à réaliser, mais qui soulève d’inextricables questions liées à la sécurité de l’infrastructure. Qui assurerait la protection du pipeline ? Qui prendra le risque de le financer ? Des interrogations qui font de TAPI plus un doux rêve qu’un projet sérieux.

Riche de la 4e plus grosse réserve de gaz au monde, le Turkménistan se retrouve donc aujourd’hui coincé dans une situation difficile, peinant à trouver des solutions satisfaisantes pour l’écoulement commercial de sa manne souterraine. Un casse-tête sans solution visible à court voire moyen terme, qui risque de s’avérer de plus en plus handicapant pour la souveraineté économique du pays, prouvant la nécessité pour le Turkménistan de diversifier les sources de sa croissance.
Turkménistan : les déboires du gaz

Notez