Ukraine : à l’Est, rien de nouveau

Xavier Maréchal, correspondant à Varsovie
1 Décembre 2013



Jeudi 21 novembre, l’Ukraine a fait trembler l’Europe en rejetant un accord d’association avec l’Union européenne. L’Europe de l’ouest s’étonne encore de ce refus, les rues de Kiev sont envahies par les manifestants. Alors, l’Ukraine, déterminée ou soumise ? Analyse.


Crédits photo -- Sergei Supinsky/AFP
Crédits photo -- Sergei Supinsky/AFP
Une victoire pour la diplomatie russe qui refuse de voir l’Ukraine entrer dans l’Union européenne ». Voici la phrase qui a emplit tous les articles concernant l’Ukraine ces derniers jours. Un commentaire qui rejoint la célèbre phrase de Zbigniew Brzezinski, homme politique américain d’origine polonaise : « Sans l’Ukraine, la Russie ne peut être un Empire ». La véritable question qui se pose aujourd’hui est la suivante : Kiev a-t-elle vraiment eu envie de rejoindre l’Europe ?

Un bastion historique

Trois frères : Lech, Czech et Rus, trois nations slaves : la Pologne, la Bohème et la Ruthénie. Cette dernière est le berceau historique de l’Ukraine, le Belarus et la Russie. Une légende qui lie les deux nations dès leur création. L’Ukraine n’a pas toujours appartenu à l’empire russe, mais leurs rapports ont toujours été plus ou moins contigus. Au 14e siècle, ont suivi les invasions mongoles qui ont fait éclater le royaume de Ruthénie. Cette rupture a permis au territoire ukrainien d’entrer dans le Grand-Duché de Lituanie et de la République des deux nations (l’Union polono-lituanienne).

Les premiers rapprochements concrets entre l’Ukraine et la Russie ne datent que du 17e siècle lors des révolutions cosaques contre l’État polono-lituanien. C’est à ce moment-là que les Cosaques, société traditionnelle ukrainienne, ont décidé de se rapprocher de la Russie. Leur raison ? Ils partagent la même confession : l’orthodoxie. Plus tard, c’est sous le règne du tsar Pierre le Grand, que la Grande Russie s’est donnée comme ambition de devenir protectrice de la Petite Russie (l’Ukraine) et de la Russie blanche (le Belarus). L’Ukraine a donc une double casquette : berceau de la civilisation slave et partenaire historique. Une position qui a toujours tendu vers l’Est et qui explique les réticences face à l’UE.

Division linguistique et politique

L’Ukraine est divisée en deux. La césure se fait par le fleuve Dniepr qui partage l’Ukraine d’est en ouest. Cette partition géographique donne naissance à une division linguistique et politique. A Lviv, capitale administrative de l’Ukraine de l’ouest, la langue ukrainienne est très largement parlée et, du fait de sa proximité avec l’Europe, cette partie est pro-UE. La région a été très influente lors des élections de 2004, lorsque Victor Iouchtchenko a été élu à la tête du pays, après la Révolution orange.

L’est de l’Ukraine regroupe la République autonome de Crimée et l’oblast d’Odessa. Cette partie du pays est la plus attachée à la Russie, historiquement, culturellement et économiquement. La langue principale est le russe, les votes sont majoritairement accordés au parti pro-russe.
Il faut également garder à l’esprit que l’actuel président Ianoukovitch est originaire de l’est de l’Ukraine et a pour langue maternelle le russe. Lors de son élection en 2009, une partie de la presse l’a vivement critiqué pour ses lacunes en ukrainien.

Le gaz, or russe

Économiquement, l’Ukraine ne peut tout simplement pas se passer de la Russie, qui est son premier partenaire commercial. En 2012, les exportations ukrainiennes vers la Russie ont représenté plus de 17 millions de dollars soit 25,6 % des exportations totales de l’Ukraine. La perte d’un tel client aurait des répercussions désastreuses sur l’économie du pays si l’Union européenne ne pouvait donner d’importantes contreparties.

Le produit russe le plus importé et consommé en Ukraine est le gaz : 66,4 bcm (milliard de mètre cube) de gaz sont consommés tous les ans . Au total, Kiev importe 32,9 bcm de gaz en russe. Aujourd’hui, Kiev représente le deuxième plus gros client de l’entreprise Gazprom.

La Russie n’hésite pas à utiliser le gaz comme une arme diplomatique contre l’Ukraine. Lors du mandat de Victor Iouchtchenko, qui avait une politique clairement pro-Ouest, la Russie a utilisé à deux reprises le prix du gaz comme une arme. Les crises de 2006 à 2009 en sont un parfait exemple. En demandant des prix impossibles à l’Ukraine, la Russie est parvenue à gagner des parts de marché dans la distribution du gaz et a également réussi à déstabiliser les leaders de la Révolution orange jusqu’à l’avènement de Ianoukovitch à la tête de l’État ukrainien.

Avec la mise en service du Nord Stream, gazoduc qui doit relier la Russie à l’Allemagne, et du projet de construction du South Stream, qui doit relier la Russie à l’Europe occidentale. La Russie peut décider de couper l’approvisionnement de gaz en direction de l’Ukraine sans couper l’approvisionnement de gaz en direction de l’Union européenne. L’Ukraine se trouve dans un étau qui peut se refermer à tout moment, et est soumise aux humeurs du Kremlin.

Si Kiev avait signé l’accord d’association à Vilnius, le pays aurait été dans une situation de tensions avec Moscou. Une quelconque interdiction de produits ukrainiens en Russie aurait eu une répercussion directe sur la santé économique du pays.

La Crimée, la base

Il existe encore des bases militaires russes en Ukraine et plus précisément en Crimée. La région est stratégique pour la Russie car elle doit avoir accès à des ports en mer chaude pour affirmer sa puissance navale. Historiquement, la ville de Sébastopol accueille la flotte de la mer Noire. Après l’effondrement de l’URSS, Kiev et Moscou se sont disputés pour savoir qui sera l’héritier de la flotte de la mer Noire et des différentes bases navales de Crimée. En 1997, un accord a été trouvé. 81,7 % de la flotte de la mer Noire irait à la Russie et 18,3 % irait à l’Ukraine. Les bases navales de Crimée seraient louées par la Russie pour une durée de 20 ans. Or en 2010, le bail a été renouvelé entre Ianoukovitch et Medvedev, pour une durée de 25 ans, plus 5 ans additionnels.

Ce n’est pas la première fois que l’Ukraine renonce à un rapprochement avec l’Occident. Avec l’arrivée au pouvoir de Ianoukovitch, l’Ukraine n’a pas pu faire ses premiers pas dans l’OTAN. Ianoukovitch souhaitait que l’Ukraine reste une zone non alignée et surtout, qu’aucunes tensions ne naissent entre les bases navales russes et otaniennes dans la mer Noire. Une position qui n’avait pas été prise par les présidents précédents, Kutchma et Iouchtchenko.

L’Ukraine est donc loin de pouvoir et de vouloir intégrer l’Union européenne. Les enjeux et les tensions sont beaucoup trop importants. Sans une Europe forte et unie, l’Ukraine n’a aucune chance face aux appétits de l’ours russe. La proposition de Victor Ianoukovitch pour la création d’une organisation prônant le dialogue entre Bruxelles, Kiev et Moscou semble être une solution plus que raisonnable pour un pays qui a les pieds entre un géant économique et un ancien empire en reconstruction.

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