Ukraine : néo-nazisme dans les tribunes ?

Yuri Martynenko, correspondant à Kiev
15 Novembre 2013



La FIFA a imposé de lourdes sanctions contre l'Ukraine en désavouant certains incidents « racistes et discriminatoires » lors d'un match de foot à Lviv, ville à l'ouest du pays, où les esprits nationalistes sont plus forts que nulle part ailleurs en Ukraine. Un tollé qui a provoqué une polémique sur la limite du pouvoir disciplinaire de la fédération sportive.


Crédits photo -- REUTERS/Gleb Garanich
Crédits photo -- REUTERS/Gleb Garanich
Un match de foot entre les équipes d'Ukraine et de Saint-Marin ne présageait rien de spécial. L'Ukraine, annoncé comme favori, envisageait de prendre les trois points nécessaires pour atteindre la phase finale de la Coupe du Monde 2014 qui aura lieu au Brésil. Sur la pelouse, pas de surprise : avec neuf buts encaissés, l'équipe de Saint-Marin a été littéralement écrasée. Pourtant, un autre spectacle se jouait dans les tribunes du stade Arena Lviv.

Les supporters ukrainiens ont levé les drapeaux rouges et noirs, ainsi que les étendards avec des portraits de Roman Choukhevich et Stepan Bandera, personnalités nationalistes, perçues différemment en Ukraine et à l'étranger. Les observateurs ont aussi remarqué les bannières de la division « SS Galitchina » formée pendant la Seconde Guerre mondiale et composée de bénévoles ukrainiens prêts à se battre contre l'Armée rouge, occasionnellement aux côtés des nazis. Une autre bannière remarquée dans les tribunes portait le slogan « Good Night Left Side », utilisé par des groupes néo-nazis en Europe.

Des mesures outrancières

La Commission de Discipline de la FIFA n'a pas tardé à réagir. « La commission a convenu que les actes offensifs, dénigrants et discriminatoires d’un groupe de supporters ukrainiens étaient honteux et constituaient clairement une violation du Code disciplinaire de la FIFA. En outre, les engins pyrotechniques ne sont pas tolérés, ceux-ci pouvant être considérablement dangereux », précise un communiqué de presse sur le site officiel de la Fédération Internationale de Football Association. Elle se dit très inquiète des bannières néo-nazies brandies dans les tribunes.

Triste bilan pour l'Ukraine. Etant très à cheval sur le comportement inacceptable des supporters dans les tribunes, la FIFA a finalement décidé d'interdire les matchs dans le stade Arena Lviv pendant toute la durée de la compétition préliminaire de la Coupe du Monde de 2018 qui aura lieu en Russie. De plus, la commission a décidé que le prochain match à domicile de l'équipe d'Ukraine serait joué à huis clos.

Le diable dans les détails

La colère de la FIFA s'explique par plusieurs incidents lors d'un match qui s'est déroulé le 6 septembre 2013. Pourtant, il y a peu de clarté concernant l'exactitude des actes perpétrés par les supporters qui ont été qualifiés comme « une raison suffisante pour imposer des sanctions disciplinaires ». La Commission de Discipline de la FIFA a pris en compte une information fournie après la rencontre Ukraine/Saint-Marin par l'organisation européenne de lutte contre le racisme FARE (Football Against Racism Europe). Le rapport d'un observateur, dépêché sur le match en question, contient un témoignage de « plusieurs incidents à caractère raciste et discriminatoire perpétrés par des supporters locaux au cours de la rencontre ».

En Ukraine, ce manque de précisions a suscité une forte polémique. Certains sont convaincus que les images de Roman Choukhevich et Stepan Bandera, présentes dans les tribunes, étaient considérées par la FIFA comme un signe du néonazisme. En Ukraine, les débats sur ces personnalités sont toujours extrêmes puisqu'ils sont des héros pour certains et des traîtres pour d'autres. À l'ouest du pays, la région où a eu lieu le match, la côte de popularité de Roman Choukhevich et Stepan Bandera est plutôt bonne, alors qu'à l'est, ils ont une mauvaise réputation.

Cela est dû, en partie, à la mémoire de la guerre : le mouvement pour l'indépendance de l'Ukraine n'était pas si fort dans les régions orientales. Tandis que pour les Occidentaux, Choukhevich et Bandera incarnent principalement la volonté de se battre contre n'importe quel ennemi au nom de l'Ukraine indépendante. Il faut bien noter que leurs visages sont souvent présents sur les bannières des supporters lors des matchs de foot entre les équipes ukrainiennes. Et ce n'est pas seulement le cas des stades occidentaux : on peut aussi retrouver les images de Roman Choukhevich et Stepan Bandera dans les tribunes du stade olympique de Kiev.

En quête de justice

Plusieurs supporters ukrainiens reprochent à la FIFA l'incompréhension des nuances idéologiques locales qui a mené aux sanctions disciplinaires disproportionnées. Le match Ukraine-Pologne, décisif pour l'équipe qui ne perd pas espoir de participer à la Coupe du Monde au Brésil, se passera à Kharkiv sans spectateurs. En plus, Arena Lviv, l'un des fleurons construits en Ukraine dans le cadre de la préparation du pays pour le Championnat d'Europe de football 2012, est quasiment exclu de la vie sportive nationale pendant quelques années. Ce stade où le soutien des supporters est toujours incroyable, reste désormais au bord du chemin.

Lundi 30 septembre, la Fédération de football ukrainienne (FFU) a décidé de faire appel en demandant de minimiser les sanctions imposées. Bien que les dirigeants locaux admettent la faute, ils estiment la décision de la FIFA outrancière. L'honorable président de cette institution, Grigorii Surkise, qui est en même temps le vice-Président de l'UEFA, s'est exprimé sur le sujet : « Il est nécessaire de créer un algorithme capable de démontrer qu'il y avait un incident isolé et que l'Ukraine n'a aucun rapport avec le culte du nazisme ». Quoi qu'il en soit, la FFU a déjà eu recours aux actions préventives qui sembleraient dérisoires dans un autre contexte. Les clubs ukrainiens sont désormais priés de ne pas mettre le numéro 88 sur les maillots de joueurs car il pourrait être perçu comme une allusion à une fameuse salutation nazie.

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