Ukraine : un nouveau départ est-il possible ?

Sergey Panashchuk, à Odessa, traduit par Carla Ortuno Guendell
1 Février 2014



L’Ukraine est encore et toujours sous tension, malheureusement. Viktor Ianoukovytch, en congé maladie, a bien promulgué une loi d’amnistie pour les opposants, mais où sont le courage, la prise de responsabilité et l’entente ? Analyse et portrait de ces Ukrainiens qui, pro-gouvernement ou opposants, sont terrorisés.


© Getty
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Il semblerait que le seul langage compris par les officiels ukrainiens soit celui des manifestations et de la violence. Il semblerait aussi que le Parlement s’apprête enfin à écouter les demandes des manifestants. La démission du Premier ministre Nikolay Azarov n’est pas sans rappeler que celle de tous les membres du gouvernement serait également la bienvenue. Les lois controversées votées par le Parlement ont été annulées 12 jours après leur mise en vigueur le 16 janvier. Le vote a grandement penché en faveur des changements démocratiques avec 361 députés pour, sur les 450 ayant participé. Il y a bien longtemps que les Ukrainiens n’avaient pas été témoins d’une telle unité entre les citoyens. Quelles sont les raisons d’un tel bouleversement politique ? La colère des gens est-elle vraiment la cause de la peur du président Victor Ianukovytch et des députés du parti des Régions ?

Le mystère du virage à 180 degrés effectué par le parti des Régions peut être facilement déchiffré si on regarde les déclarations et les actions des oligarques ukrainiens. Samedi 25 janvier, SCM, le groupe commercial de Rinat Achmetov, a fait une déclaration officielle concernant l’usage inapproprié de la violence contre les gens réunis à Maïdan. Proche de Viktor Ianoukovytch, Achmetov est l’oligarque ukrainien le plus riche. Sa fortune s’élève à près de 23 milliards de dollars.

Le ministre de la Défense, Alexey Lebedev, a ensuite confirmé la neutralité de l’armée ukrainienne, toute intervention dans le conflit étant interdite. De son côté, Victor Ianoukovytch a montré une volonté de faire des compromis et a offert le poste de Premier ministre au leader de l’opposition Arseniy Yatseniuk. 

Les oligarques ont arrêté la violence

D'après certains experts, Ianoukovytch prévoyait, dimanche dernier, de supprimer violemment et complètement les manifestations de la place de l’Indépendance. Après cette mesure, aucun manifestant n’aurait eu le droit de se trouver dans le centre de Kiev. Cependant, dimanche à 3 heures du matin le ministre de l’Intérieur, Vitaly Zacharchenko, a ordonné aux forces spéciales d’abandonner le bâtiment de la Maison Ukrainienne (située tout près du cœur des manifestations), qui était entourée par un groupe de manifestants et occupé par les forces spéciales quelques heures auparavant. Depuis dimanche soir [26 janvier, ndlr] tout le monde était en attente d’une session au Parlement qui aurait dû avoir lieu mardi dernier [28 janvier, ndlr].

Il y a une semaine, les députés du parti pro-gouvernemental et l’opposition étaient plutôt stressés et nerveux. Ils se réunissaient avec la lourde tâche de trouver une solution à cette situation plus que critique. Un peu plus d’une semaine avant cette session extraordinaire, des manifestations ont éclaté dans le reste du pays. 11 bâtiments du gouvernement ont été occupés et les manifestants ont commencé à organiser un gouvernement alternatif au Conseil du Peuple. La situation a commencé à prendre des allures de la révolution de 1917. L’Ukraine se trouvait alors sous la menace d’une séparation et pire encore, d’une guerre civile.

« Ils m’ont crucifié. Ils m’ont perforé les mains »

Ce n’était évidemment pas le plan qu’Achmetov et les oligarques voulaient pour l’Ukraine… et pour leurs fortunes. Ce mardi, les députés ont trouvé un accord sur un plan d’action concernant les circonstances actuelles, la tension semblait apaisée. La situation n’est pas pour autant rassurante. Hier, Dmitro Bulatov, opposant au gouvernement de Ianoukovytch est réapparu à la télévision. Disparu depuis une semaine, il a déclaré avoir « été enlevé et torturé par [ses] ravisseurs ». Pour Vitali Klitchko, l’un de leader du mouvement d’opposition « ce qui a été fait à Dmitro visait à répandre la peur parmi les citoyens qui se mobilisent actuellement ».

L’une des principales demandes des Ukrainiens était la mise en vigueur d’une loi d’amnistie qui permettrait de relâcher les résistants à la police, ceux qui ont occupé les bâtiments locaux du gouvernement. Mercredi dernier, la loi a été votée, mais l’opposition n’était toujours pas satisfaite. Il s’avère que cette loi d’amnistie ne sera pas mise en pratique dans l’immédiat. Elle sera appliquée, dans les 15 jours, si les manifestants décident de quitter Maïdan et tous les bâtiments du gouvernement. Les Ukrainiens craignent de se faire avoir par leurs officiels. Ce délai de 15 jours pourrait permettre au gouvernement de changer d’avis et de troquer l’amnistie par l’emprisonnement.

Comme une étrange coïncidence, le président Victor Ianoukovytch est soudainement tombé malade, souffrant d‘une infection respiratoire. Certains experts voient cet incident comme « une excuse » pour ne pas avoir à vérifier les lois votées par le Parlement les 27 et 29 janvier.

© Reuters
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« Tomber soudainement malade, c’est une tradition ici quand la situation est hors de contrôle », Galina Kovalchuk, habitante de Poltava


Galina Kovalchuk, 35 ans, est gérante d’un spa à Poltava. Elle se déclare insatisfaite vis-à-vis des décisions du Président. La maladie de Ianoukovytch semblerait jouer le rôle d’alibi afin de masquer l’impotence du gouvernement à trouver une solution pour tous.

« C’est scandaleux ! La personne responsable du carnage, de la tuerie des manifestants décide de prendre un congé de presque 2 semaines (les certificats médicaux sont donnés pour une période de 1 ou 2 semaines, ndlr). C’est le seul qui peut arrêter la tension politique, mais il est incapable de le faire. Il n’a pas le courage pour admettre ses erreurs et est trop avare de pouvoir pour démissionner. Sa renonciation mettrait immédiatement fin à la crise. Maintenant, il se trouve dans une position faible et il continue quand même à mettre des ultimatums aux opposants. »

Pour Galina, la plupart des gens en Ukraine attendent la démission de Ianoukovytch et que lumière soit faite sur les cas de torture et les tueries commis par la police. « On se demande aussi où sont les centaines de manifestants portés disparus. Tout le monde attend la diffusion des prénoms des responsables des assassinats et tortures des citoyens pacifiques. On voudrait voir ces gens jugés dans un tribunal et incarcérés le plus vite possible », affirme-t-elle.

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« Ils voulaient l’abolition des lois antidémocratiques, ce qu’ils ont eu aussi. Et alors ? Sont-ils satisfaits ? Bien sûr que non. », Nikolay Fedorenko, habitant de Chernihiy

Nikolay Fedorenko, 31 ans, est expert media à Chernihiy. Il ne soutient pas les actions de l’opposition. « Ils exigeaient la reprise des négociations avec l’UE concernant l’adhésion en tant que membre. Le gouvernement a donc essayé de reprendre les discussions. Ils demandaient aussi la démission de Azaroy et Zarachenko et ils l’ont eu. Ils voulaient l’abolition des lois antidémocratiques, ce qu’ils ont eu aussi. Et alors ? Sont-ils satisfaits ? Bien sûr que non », déclare Nikolay.

« Si l’opposition refuse de faire partie du nouveau cabinet des ministres, alors cela voudra dire qu’ils ne sont pas prêts à compromettre, ils cherchent simplement la prise du pouvoir total ». Nikolay ne comprend pas pourquoi cette situation persiste, pourquoi l’avenir du pays est si incertain. D’après lui, l’opposition n’a pas le contrôle de ce qu’il se passe à Maïdan. « Quel est le but de tous ces morts au cours des affrontements avec la police ? ». Les officiels et autres oligarques ne font rien de leur côté non plus. Ils ont peur des sanctions économiques de l’Europe et des Etats-Unis, et surtout que leurs comptes bancaires à l’étranger soient bloqués. Aujourd’hui, Nikolay estime que « les deux parties sont coupables de procrastination et de la situation ».

La prochaine session au Parlement ukrainien aura lieu le mardi 4 février. Il est fort probable que le Parlement soit dissout et qu’une nouvelle date pour les élections soit fixée. Bien que les tensions aient été dissipées, il reste encore un long chemin à parcourir pour arriver à une réconciliation totale et un nouvel équilibre politique.

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