Uruguay : José Mujica, le « Président le plus pauvre du monde »

18 Juillet 2013



Agriculteur de profession, ancien leader d'une guérilla d'extrême gauche, c'est un président atypique que les Uruguayens ont décidé de porter au pouvoir via les urnes, le 29 novembre 2009. José Mujica, surnommé « Pepe » Mujica, est le second Président de gauche dans l’histoire de l'Uruguay à être porté à la tête de ce petit pays fortement marqué par une tradition politique conservatrice.


AFP
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Né à Montevideo dans une famille de fermiers le 20 mai 1935, José Mujica s'est engagé politiquement en rejoignant dès 1960 les Tupamaros, une guérilla urbaine inspirée de la révolution castriste. L'objectif des guérilleros était la conquête du pouvoir en ayant recours à des actions terroristes telles que des actes de sabotages, enlèvements, vols afin d’instaurer une vision d’une société plus égalitaire. La vague de répressions suite à l'instauration de la dictature en Uruguay (1973-1985), met fin à la résistance des Tupamaros. A la tête du mouvement, Pepe Mujica est arrêté avec plusieurs de ses compagnons d’armes. Durant ses 14 années de prison, il sera confronté à la torture et à de nombreuses années d'isolement total.

Amnistié lors du rétablissement de la démocratie en 1985, il renonce à la lutte armée pour le combat politique, en créant un parti politique, le « Mouvement de Participation Populaire ». Ce dernier est intégré au Frente Amplio, la coalition de gauche uruguayenne qui fait face aux deux partis historiques traditionnels, le Partido Blanco et le Partido Colorado, d'orientation de droite et centriste. Élu sénateur (1999 et 2004), puis nommé ministre de l'Agriculture sous le gouvernement de Tabaré Vázquez en 2005, José Mujica remporte les primaires au sein du Frente Amplio en juin 2009. Il conduit son parti à la victoire des présidentielles en octobre de la même année et devient le second Président de gauche de son pays.

Un Président avec les pieds sur terre

Malgré son élection à la Présidence, Pepe Mujica n'en a pas pour autant changé son style de vie. Il a refusé de s'installer dans le palais présidentiel, préférant rester dans sa ferme située en banlieue de Montevideo, dans laquelle il travaille et vit depuis vingt ans avec sa femme Lucía Topolansky, qui partage son passé de guérillero.

Autre originalité peu commune à ce niveau de responsabilité, Pepe Mujica a fait le choix de vivre avec le salaire mensuel moyen de son pays, l'équivalent de 680 euros par mois. Il fait don de 90% du salaire qu'il reçoit pour sa fonction de Président et Commandant en chef de l'armée, soit 9 300 euros, à des organisations caritatives, notamment d'aide au logement et d'éducation. En parallèle de sa charge présidentielle, Mujica continue avec sa femme la culture et la vente de fleurs, un petit commerce qu'ils ont ouvert il y a déjà longtemps.

Peu porté sur les limousines et autres bolides, ce Président se déplace toujours dans sa coccinelle Volkswagen achetée en 1987, sauf pour les déplacements officiels au cours desquels il utilise une simple Chevrolet Corsa. « J'ai vécu comme ça la plupart de ma vie. Je peux vivre avec ce que j'ai » explique-t-il. Sur la déclaration de patrimoine, un devoir pour chaque élu uruguayen, ses seules possessions sont sa Coccinelle bleue, la ferme dans laquelle il vit et qui appartient à sa femme, deux tracteurs et du matériel agricole. Ce président ne possède ni dettes, ni compte bancaire.

Cet ascétisme peu commun lui a valu le titre de « Président le plus pauvre du monde » par de nombreux médias. Interviewé par les journalistes sur le sujet, la réponse de Pepe Mujica est surprenante : « on m'appelle le président le plus pauvre, mais je ne me sens pas pauvre. Les pauvres sont ceux qui travaillent uniquement pour avoir un style de vie dépensier, et qui en veulent toujours plus… ». De cette philosophie de vie qu'il a développée pendant ses années d'emprisonnement, Pepe Mujica dénonce la société de consommation, qui selon lui incite l'homme à « vivre pour travailler » et non « travailler pour vivre ». C'est ce qu'il qualifie « d'esclavagisme » moderne. « C'est une question de liberté » conclut-il.

Président anticonformiste et provocateur ?

Pepe Mujica se soucie peu des protocoles liés à la fonction présidentielle. Député, il choquait déjà son entourage quand il sortait de sa ferme pour se rendre au Parlement en Vespa, ou au Congrès chaussé de ses bottes en caoutchouc pleines de terre.

Son style vestimentaire ? Pepe Mujica est toujours habillé très simplement, même lors des sommets mondiaux. Il aborde un style décontracté, sans cravate et toujours avec ses vieilles bottines en cuir usées. Ce style informel exaspère l'opposition, qui remarque chacun de ses « faux pas », comme lors de son déplacement au sommet officialisant l'entrée du Venezuela dans le Mercosur, auquel il s'est rendu en vieilles chaussures.

Pepe Mujica se caractérise également par son franc-parler. Une franchise qui parfois le pousse à tenir des propos déplacés créant des tensions diplomatiques, comme ce fut le cas à de nombreuses reprises avec l'Argentine. Plusieurs fois Pepe Mujica a insulté des dirigeants argentins. Il a par exemple qualifié l'ancien président Argentin Carlos Menem de « mafieux » et de « voleur », et traité les époux Kirchner de « péronistes délinquants ». Également, avant une conférence de presse qu'il tenait en avril 2013, alors qu'il croyait les micros débranchés Pepe Mujica s’exclame « cette vieille est pire que le borgne », en référence à Cristina Kirchner et son mari décédé qui souffrait de strabisme. Hector Timerman, le ministre argentin des Affaires étrangères avait considéré ces propos comme « injurieux ».

Une politique sociétale audacieuse

Si Pepe Mujica critique la société de consommation, c'est avec la même ferveur qu'il dénonce « l'hypocrisie des sociétés modernes et de leurs dirigeants » sur des questions telles que l'avortement ou encore la toxicomanie. Depuis son élection, il a permis l'adoption de nombreuses lois, qui confirment le statut de pionnier de ce pays, en terme d'avancées sociales sur le continent.

Un texte qui dépénalise l'avortement sous certaines conditions a été adopté par les députés la nuit du 25 au 26 septembre 2012. Ce projet de loi avait été précédé de longs débats qui divisent encore la société uruguayenne. Contrairement à son prédécesseur, l’actuel Président n'a pas eu recours au veto présidentiel et le 17 octobre la loi est approuvée par le Sénat. Mujica espère grâce à cette nouvelle loi, voir diminuer le nombre de décès provoqués chaque année par des avortements clandestins.

Face à l'augmentation des homicides liés au trafic de la drogue, l’ Homme d’État propose en juin 2012 une loi qui a de nouveau suscité de nombreuses polémiques dans son pays, mais aussi sur tout le continent latino-américain. Encore une fois Mujica dénonce l'hypocrisie des dirigeants quant aux politiques à mener pour lutter contre le trafic de drogue et la toxicomanie. « Il y a toujours eu de la drogue, les drogues sont bibliques » déclare-t-il.

Face aux échecs des politiques antidrogue des pays voisins (Brésil, Mexique, Colombie), le Président soumet au Congrès un projet de loi qui vise la légalisation de la production et vente de cannabis pour en faire un monopole d'État. Mujica espère à travers cette loi éradiquer le marché noir qui s'est développé autour du trafic de marijuana et donc mettre un frein l'augmentation des homicides.

Ce projet a été immédiatement dénoncé par l'opposition qui craint une augmentation de la consommation de drogues, sans pour autant réduire l'insécurité dans le pays. Il est vrai que l'insécurité a fortement augmenté au cours de ces dernières années, et c'est la principale critique faite à ce président qui a vu sa popularité chuter dans les sondages. De 66 % d'opinions favorables un mois après son élection, sa popularité est tombée à 44 % d'opinions favorables fin 2012.

Âgé de 78 ans et bientôt en fin de mandature, Pepe Mujica s’apprête, sauf grosse surprise, à retrouver sa vie vraiment « normale », dans sa ferme, et se consacrer à la culture des fleurs avec sa femme.

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