De la Libye à l'Indonésie : « l'autoroute de l'internationale djihadiste »

Claude-Henry Dinand
28 Janvier 2016



Le 13 novembre dernier, le monde entier faisait face à un nouvel épisode d'effroi lors des attentats perpétrés à Paris et dans sa périphérie. Avec cet ultime bilan de 130 morts supplémentaires au compteur, il semble que l'organisation terroriste État islamique en Irak et au Levant, plus communément appelée Daech, fervente amatrice de la stratégie médiatique et de l'exécution spectaculaire à la sauce hollywoodienne, ait réussi à clore l'année par un coup de maître en Europe.


Carte « Connexions djihadistes », Mini Atlas l'État du Monde 2014
Carte « Connexions djihadistes », Mini Atlas l'État du Monde 2014
Début 2016, du Burkina Faso à l'Indonésie en passant par la Libye, plusieurs de ces « djihadistans » semblent plus que jamais en ébullition pour tracer la voie de ce que Philippe Rekacewicz, géographe et journaliste français, nomme « l'autoroute de l'internationale djihadiste ».

La Libye : point de passage incontournable vers le "Sahelistan"

Le 4 janvier 2016, la branche libyenne de Daech prend le contrôle des installations pétrolières d’al-Sedra et de Ras-Lanouf dans la région de Syrte. Quelques jours auparavant, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Martin Kobler, avait adressé une lettre ouverte au peuple libyen dans laquelle il affirmait que « l'année 2016 sera[it] l'occasion pour ce pays de redécouvrir la paix avec un gouvernement d'union et un seul ensemble d'institutions légitimes ». Probablement la première étape d'un plan de bataille plus élaboré, ce nouvel épisode symbole des velléités de cette filiale de Daech semble aujourd'hui affirmer l'hypothèse d'avancées progressives du tracé de « l'autoroute de l'internationale djihadiste ».

Dans un tel contexte, les deux terminaux pétroliers constituent des points relais dans le traçage d'un axe allant de la Mauritanie au Pakistan. Véritable bombe amorcée « qui pourrait devenir, qui est en train de devenir un nouveau repaire des terroristes de Daech, à nos portes », comme l'évoquait le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian, lors de son discours prononcé devant l'Assemblée nationale, le 25 novembre 2015, la Libye est devenue en seulement quelques mois un espace stratégique majeur du nord de l'Afrique.

Crédit Michael Larson
Crédit Michael Larson
Nouveau « Sahelistan », espace en voie de « somalisation », au-delà des nombreuses tentatives pour qualifier ce nouvel « incubateur de groupes terroristes », force est de constater que la Libye est la pièce maitresse de l'échiquier, d'un « guêpier », comme le définit Philippe Leymarie, journaliste du Monde Diplomatique, dans son article « L'hydre libyenne, hantise du Sahel  ». Le pays est voué à devenir un point de rencontre idéal pour les djihadistes de Daech installés sur le littoral de Syrte, les mouvements de Boko Haram qui se replient du nord du Nigéria vers les rives du lac Tchad et des forces d'al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en déroute du Mali sur un axe Ghat – Oubari pour constituer un nouveau « sanctuaire terroriste » comme l'évoquait un rapport du Sénat français en juillet 2013.

L'Indonésie : Pivot stratégique vers l'islam asiatique

Le 14 janvier, à peine dix jours après le feuilleton libyen, la menace s'étend en Extrême-Orient malgré le démantèlement d'un attentat et l'arrestation de sept personnes soupçonnées par les autorités indonésiennes de préparer des attaques « simultanément organisées sur une aire géographique très large » en décembre dernier. L'attentat qui a fait sept morts à Djakarta, à proximité de plusieurs agences des Nations unies et du quartier des ambassades, a été revendiqué par Daech par le biais d'Aamaq, agence de presse en ligne de l'État islamique utilisée quelques jours auparavant pour revendiquer les attaques en Libye. À l'heure où la police indonésienne a annoncé, le 16 janvier, l'arrestation de douze suspects, dont un homme soupçonné d’avoir financé les attaques avec des fonds de l'EI, la question de la mise en place d'un pivot stratégique vers le monde musulman asiatique par Daech semble plus que jamais envisageable.
Carte « Le Califat selon l'État Islamique » (juin 2014)
Carte « Le Califat selon l'État Islamique » (juin 2014)

Ce foyer djihadiste est initialement composé de membres issus de Jemaah Islamiyah (JI), organisation djihadiste indonésienne fondée en 1993 et responsable du « 11-Septembre » indonésien ayant entrainé la mort de 202 personnes le 12 octobre 2002. Il jouit désormais d'un retour sur la scène régionale grâce aux partisans de l'EI envoyés sur place pour former ces djihadistes d'al-Qaida aux stratégies médiatiques et techniques marketing de ce que Jean-Luc Marret, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, nomme le « terrorisme 2.0 ». Cette filiale nouvellement estampillée « made in Daech » permet à la maison mère de s'exporter dans le Sud-Est asiatique pour mieux jalonner le chemin de l'autoroute en cours de construction.

« Extensions, affiliations et ambitions de l'État Islamique », Foreign Policy (Février 2016)
« Extensions, affiliations et ambitions de l'État Islamique », Foreign Policy (Février 2016)
Attentats rapprochés le 4 janvier en Libye, le 12 en Turquie, le 14 en Indonésie, le 15 au Burkina Faso, le début de l'année 2016 se profile sous le signe du renforcement de l'internationalisation de l'organisation syro-irakienne Daech. Malgré une forte concurrence dans ces démonstrations de force de plus en plus fréquentes entre les groupes d'al-Qaïda  AQMI au Burkina Faso ou Jemaah Islamiyah en Indonésie  et ceux de l'État islamique (branche libyenne de Daech), ces actions s'inscrivent toutefois dans une logique de win-to-win dans la mesure où elles participent aux avancées quotidiennes du tracé de « l'autoroute de l'internationale djihadiste ».

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